[Une prof en France] Bac de français : le dessous des corrections

Baccalauréat

Les épreuves du baccalauréat de français se terminent. Cela vous intéresse peut-être de savoir comment il est corrigé ? Certains commentaires à de précédentes chroniques suggéraient que mes collègues pouvaient « se faire un peu d'argent » en corrigeant le bac. Détrompons-les tout de suite : le statut d'examinateur fait partie de notre service, nous sommes au mieux défrayés, et la rémunération propre n'est que symbolique. Elle change chaque année, mais pour exemple, ma dernière rémunération pour les oraux de français, qui m'avaient mobilisée pendant six jours de 7h30 du matin à 16h30 et pendant lesquels j'avais évalué une soixantaine de candidats, était de un euro par demi-journée. Notre commission avait fait un courrier au service des examens pour indiquer que nous ne demandions pas l'aumône et qu'ils pouvaient garder leurs piécettes.

La question centrale est celle de la notation.

Pour l'écrit, on a peu de temps pour corriger les copies et, parfois, les cours continuent pendant la période de correction - si l'on enseigne aussi en collège, par exemple, ou si l'on organise des cours de révision pour ses élèves de première - ou bien on commence à faire passer les oraux en même temps. En général, on nous fixe une réunion pour faire un point, trois ou quatre jours après la récupération des copies, réunion au cours de laquelle nous devons fournir nos premières moyennes… sur la moitié du paquet si possible. Donc, en théorie, on a une dizaine de jours pour corriger notre paquet, mais on est censé en faire la moitié pendant les quatre premiers jours. On peut, par exemple, avoir la réunion d'harmonisation - c'est-à-dire de récupération des copies et de définition des critères communs de correction - le vendredi soir, à 16h, et devoir fournir le premier lot de moyennes le mardi soir suivant.

À quoi servent ces pointages de « mi-parcours », comme on dit ? À conditionner et pister les correcteurs. Les moyennes sont données de façon nominative et mutualisées, et les coordonnateurs contactent dans la foulée tous ceux qui sortent du rang, c'est-à-dire qui ont des moyennes trop basses, car nos moyennes ne sont évidemment jamais trop hautes. Deux moyens de pression s'exercent. Le premier est purement psychologique et s'appuie sur le conformisme et la puissance du groupe : il est difficile, pour certains, d'être hors cadre et de voir leurs chiffres sortir en rouge dans un tableau diffusé à tous. Certaines études de psychologie sociale montrent, d'ailleurs, que les femmes seraient plus sensibles que les hommes à la pression du groupe. Or, les correcteurs sont, à plus de 70 %, des femmes. Le second est plus coercitif. Alors que je corrigeais un paquet de copies de Première technologique, la coordinatrice m'a appelée en me demandant d'augmenter ma moyenne de trois points. Nous étions à mi-parcours. Je lui ai demandé de préciser sa pensée : elle m'a dit d'augmenter chaque copie de trois points ou de piocher des copies au hasard et de leur ajouter six points. J'ai évidemment refusé ; elle a dit qu'elle le ferait elle-même…

À l'oral, c'est pire. Après chaque demi-journée, chaque professeur inscrit ses moyennes au tableau qui est dans la salle commune, pour les trois parties de l'oral (analyse du texte, question de grammaire, entretien sur la lecture cursive). Et là, tout dépend de la personnalité du coordinateur… Il exerce plus ou moins de pression sur les professeurs qui ont des moyennes plus basses que les autres. Il y a ceux qui sont les bons petits soldats du ministère et ceux qui sont plus souples, voire ceux qui ont encore une vraie déontologie. Mais ceux-là restent rarement coordinateurs longtemps ; ils sont une sorte d'erreur de casting. Tout est noté et reporté, puis remonté ensuite aux inspecteurs et au rectorat.

Et puis tout ça part ensuite dans la moulinette des commissions d'harmonisation académiques, qui se gardent la possibilité de remonter les notes au cas par cas, au vu du dossier des élèves.

L'objectif est que les moyennes globales gardent la courbe ascendante qu'elles ont depuis une petite dizaine d'années, chaque cohorte devant faire mieux que la précédente, preuve de l'excellence et de l'exigence de notre système…

Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

33 commentaires

  1. Supprimons les examens, au moins on gagnera du temps et n’en ferons surtout pas perdre à ceux qui ont envie d’instruire. Mais à ce compte là, supprimons tout, plus de contrainte, plus de barrière, chacun fait ce qui lui plaît, ce qu’il a envie… cela ne s’appelle t’il pas la « chienlit ».

  2. L’égalitarisme ou la médiocratie, c’est pareil ! Des gens inintelligents pourront faire des populations plus perméables aux propagandes et idéologies qui ne font pas appel à la réflexion mais au secteur reptilien du cerveau . Le bac d’aujourdhui c’est le symbole de cela parce que porté par une gauche qui abuse le chaland . Une gauche représentée par le bonimenteur de foire qui sait que ce qu’il propose est nul mais vous raconte ce qu’il faut pour que vous le croyez . Et il arrive que certains tombent dans le panneau et se font avoir mais quand il s’en aperçoivent c’est trop tard et il ne peuvent revenir en arrière si par malheur le parti des bonimenteurs arrive au pouvoir

  3. Les sociétés ont toujours fonctionné avec pour but de fabriquer un peuple conforme aux idéologies dominantes imposées par une « plus ou moins élite » . Mais ce qui devient inquiétant c’est quand « l’élite » s’efforce de fabriquer un peuple inculte pour mieux asseoir son pouvoir. La différence avec par exemple les buts de l’enseignement à l’époque de l’école en France sous la IIIè République et encore sous la IVè est totale.
    A ces époques enseigner était bien évidemment conditionner, mais pas abêtir. Mais il est vrai que l’abêtissement bien programmé est une porte grande ouverte vers le conditionnement. Bravo.

  4. Cela existe depuis plusieurs décennies, y compris pour l’agrégation, dans les disciplines où le recrutement est déficitaire !
    Même tambouille que pour les élections, où l’on apprend que certains électeurs ont deux cartes, car deux adresses différentes ! L’intelligence artificielle va bientôt nous arranger tout cela !

  5. Et, en plus, ces gens nous demandent d’accepter la duperie ! Mais les vérités se révèlent dans la vie courante, quand un « bachelier » ne maîtrise pas la langue et l’écriture, notamment dans l’emploi. Tricherie où est ta victoire ?

  6. J’ai été jury d’examen dans l’enseignement technique en tant que conseiller de l’enseignement technologique, j’étais là pour le rattrapage des élèves qui avaient échoué pour peu de points, c’est là qu’on voit le décalage entre les profs qui eux n’ont jamais travaillé sur la tas dans la discipline qu’ils enseignent et les professionnels qui eux pratiquent toute la journée et du moins en ce qui me concerne avec un niveau professionnel bien supérieur (bac + 8) et en plus du diplôme un DESS passé à 50 ans pour le fun et un diplôme d’ingénieur dans ma spécialité avec de nombreux séminaires et formations complémentaires puisque l’ordre nous oblige à suivre une formation continue. Par exemple un élève à des notes de 7 en pratique (il est vrai avec beaucoup de bienveillance) un prof d’anglais lui n’est pas d’accord pour le rattrapage parce que l’élève à 4 en anglais ( langue qu’il ne pratiquera jamais, en plus il parle déjà arabe) après ce sont des discussions qui n’en finissent plus, le prof de gym,(véridique) veut qu’on repêche un gosse qui a 6 en pratique parce qu’il a une bonne note en gym c’est comme ça que ça se passe hélas. inutile de dire que je n’ai pas renouvelé mon mandat, d’ailleurs j’avais des missions intéressantes à mettre en place ce que les profs m’ont empêché de faire parce que je n’étais pas du sérail. Personnellement j’étais d’accord pour être assez large avec des élèves qui avaient quand même un peu travaillé et si on veut qu’ils s’assimilent il ne faut pas les dégoûter, ils ont déjà fait un gros effort par rapport aux autres. Après les CAP ou le BEP actuel par exemple ne veut pas dire grand chose, c’est l’employeur qui va faire le tri et qui embauchera celui qui lui semble le plus compétent pour le poste à pourvoir.

  7. Comment? Que m’apprenez-vous là? Ceci expliquerait donc que, élève pas trop mauvais en français que je fus, j’ai pu noter que tous les cadres d’entreprises que j’ai connus vers ma fin de carrière étaient de très loin au-dessous de mon niveau, faisant circuler, secrétaire à l’appui du même tonneau, des notes de service quelquefois même rendues inexplicites ou à contre-sens, rien que par les fautes d’orthographe…

  8. C’était en Seine-Saint-Denis il y a une trentaine d’année. Pour le brevet des collèges nous avions l’habitude de remonter à 10 toutes les moyennes comprises entre 9,5 et 10. Et d’examiner les dossiers lorsque les moyennes étaient comprises entre 9 et 9,5 pour tenter de les faire passer à 10. Arrive un nouvel inspecteur d’académie. Et de nouvelles directives. Au dessus de 8,5 on remonte systématiquement à 10. Et on tente de le faire pour les moyennes comprises entre 8 et 8,5. Cette année-là le taux de réussite a explosé.
    Lire « Stupéfiant voyage à travers l’Education nationale »

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