[Une prof en France] C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes

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Lors d'une réunion pédagogique avec les inspecteurs, on nous a relaté l’aventure exaltante d’une classe de lycée qui a la chance de voir à chaque cours son professeur d’économie se mettre au fond de la classe afin que des élèves prennent sa place. À l’heure où plus personne ne veut devenir enseignant et où tout le monde nous regarde d’un œil empli de condoléances, ce professeur a trouvé la solution : se faire remplacer par les élèves qui, eux, sont bien obligés de venir à l’école. Malin !

« Les élèves reçoivent les cours au fur et à mesure pour les préparer chez eux » puis, « en classe, ils mettent leurs recherches en commun ou se consacrent aux exercices. » On m’en avait parlé il y a plus de vingt ans, lors des séances fort drôles au cours desquelles les inénarrables pédagogistes qui sévissaient à l’IUFM de Pontoise essayaient de me convertir aux dogmes de leur secte. Mais je n’y croyais guère car ce qu’on nous vendait comme une nouveauté renversante de modernité n’était qu’une vieille lune qui avait fait couler beaucoup d’encre au début du XIXe siècle, quand on l’avait importée d’Angleterre sous le nom d’« enseignement mutuel ». Autour de 1830, jusqu’à 2.000 écoles avaient fonctionné, en France, selon ce système dans lequel les élèves s’instruisent entre eux, sous la férule lointaine et organisatrice d’un maître unique qui peut ainsi prendre en charge plusieurs centaines d’élèves ! Mais l’État français avait fini par l’interdire après 1833 sous l’impulsion de François Guizot puis de Victor Cousin, convaincus par les nombreux arguments des détracteurs de ce système tentaculaire.

On nous ressort donc un débat datant de presque deux siècles en essayant de nous faire prendre ce vieux pot pour l’idée qui sauvera l’élève de l’ennui et l’école du marasme.

Nous y voyons surtout une manière sournoise de faire sortir encore un peu plus le professeur de l’école. En effet, « pour mettre en place la classe inversée, pas besoin d’un équipement de pointe : les élèves peuvent utiliser leur téléphone portable ou apporter leur propre matériel ». En fait, ils pourraient finalement tout aussi bien rester chez eux et se mettre devant Google, puis demander à ChatGPT de leur faire une synthèse… Le tour est joué et ce n'est plus 1.500 postes que l'on peut supprimer, mais 70 % des effectifs de professeurs, réduits au rang d'animateurs de séances.

Les élèves pourraient d’ailleurs aussi s’auto-évaluer, ce qui résoudrait le problème de la subjectivité des notes et du caractère discriminatoire et humiliant de l’évaluation. Ah ! Ils y ont pensé ! « Ils communiquent via Twitter ou des groupes Facebook pour partager des articles de presse. Ils répondent à l’application Socrative pour s’évaluer. Si une question obtient un pourcentage élevé de mauvaises réponses, je peux revenir sur une partie du cours », précise le professeur que l'on nous donne comme modèle, dans un entretien datant de près de dix ans. Qu’il est généreux ! Ingénieuse façon d'alléger considérablement les corrections, qui sont la plaie de notre métier et sa partie la plus chronophage : si moins de 30 % des élèves se trompent à une question, hop ! je passe à la suivante sans la corriger. Loi de la majorité oblige ! On gagnerait ainsi un temps incroyable. Tant pis pour les 30 % d’élèves qui n’auront pas leur réponse : ils n’ont qu’à la chercher sur Wikipédia ou demander à leurs camarades, ce qui développera leur sens de l’entraide écocitoyenne et solidaire et améliorera le vivre ensemble de la classe dans un souci de partage équitable !

Je ne dis pas que la classe inversée ne peut pas fonctionner, selon certaines modalités, dans certains endroits, à certains moments, avec certains élèves. Mais on ne résoudra pas les problèmes de l'école en appliquant des techniques de management adulte. L'autorité de la parole du maître fonde la transmission et l'apprentissage. Elle ne peut être échangée sans lourd dommage contre un contenu pris sur Internet, désincarné et anonyme.

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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

16 commentaires

  1. Une seule solution: rétablir la sélection des meilleurs et ne pas mélanger les bons et les nuls

  2. On ne peut enseigner correctement qu’à ceux qui ont envie d’apprendre.
    Quand on voit la composition de la plupart de nos classes, on peut avoir des doutes!

  3. J’ai eu à expérimenter la méthode de la classe inversée en lycée en mathématiques, en tant qu’élève puis en tant que professeur. Les élèves ont à étudier une partie de cours et à chercher des exercices en travail personnel et le cours est consacré à expliquer et à développer les parties non comprises. Cependant la méthode fonctionnait très bien dans ma classe de lycée dans les années 1970 puis encore correctement dans les années 1990 avec mes élèves en section scientifique, mais j’ai cessé de l’appliquer ensuite compte tenu de l’évolution du public scolaire, pour en revenir à un cours plus magistral. En effet, elle suppose que les élèves aient accompli avant le cours le travail d’étude prescrit. Or, les « nouveaux publics » sont trop souvent habitués depuis le début de leur scolarité à ne pas effectuer ce travail personnel, sans conséquence immédiate puisqu’ils passent sans encombre d’un niveau à l’autre et obtiennent leur bac. Le travail demandé n’est souvent pas effectué même quand il suit le cours correspondant. Comme souvent, ce qui est prôné par les pédagogues de l’Education Nationale n’est pas forcément toujours mauvais mais ne s’applique qu’à un élève théorique, sérieux, travailleur et attentif qui ne correspond plus que rarement au lycéen moyen actuel.

  4. En clair: quand il y trop de perdants, on change la règle du jeu… Très socialo, tout ça!
    J’ai vécu 25 ans avec une enseignante – dans les années 70 – qui a adopté en CE1 « à titre personnel » une telle méthode; ce après avoir totalement pris sa classe en confiance mutuelle, c’est à dire au cours du deuxième trimestre, avec succès quant au résultats des élèves, ravis de venir à l’école où ils ne s’ennuyaient jamais! (mais je ne suis peut-être pas objectif !). Bien entendu, avec le demi-désaccord du directeur de l’école, hein?

  5. Les enfants décervelés et, comme la girouette, bien orientés seront les électeurs de demain, taillables, corvéables et gouvernables à merci

  6. L’erreur fut de mettre l’élève au cœur des apprentissages à la place du prof. Et ensuite de nous dire qu’il fallait limiter les explications parce que l’élève devait être capable à un moment donné (lequel ???) de comprendre tout seul et de retrouver intuitivement les règles…. Ça marche pour un pourcentage d’élève extrêmement infime et qui sont réellement très doués et de toute façon pour ceux là, quelque soit la méthode ils s’en sortiront toujours. C’est pour cela que j’ai appliqué les bonnes vieilles méthodes tout au long de ma carrière en passant à travers les mailles du filet et en vendant la soupe attendue le jour des inspections afin de ne pas non plus brider mon évolution de carrière. Mes élèves (ni les parents) ne se sont jamais plaints d’avoir des règles de grammaire explicatives avec des exemples illustratifs et des exercices d’application. Je n’avais pas forcément de meilleurs résultats mais j’arrivais à en avoir plus qui comprenaient….

  7. Aujourd’hui retraité ( à 69 ans, depuis, 2 mois), j’ai assuré, à temps partiel et comme vacataire, quelques enseignements de spécialité à l’université.
    L’une des raisons de de ma décision de retraite, outre la stupidité des mesures « Covid », a été la mise en place de « l’APP » : « Apprentissage Par Projet » : l’enseignant ne fait plus cours, les élèves « se documentent », puis « réalisent un projet », l’enseignant « évalue », donne à faire un nouveau projet si les résultats sont mauvais…
    Il m’a semblé inepte de devoir laisser des étudiants chercher par eux-mêmes la méthode de calcul des « moments d’inertie de poutres complexes » en béton armé…
    Peut-être est-ce ainsi qu’on en arrivé à des effondrements mortels de balcons ?

  8. Décidément, l’Abrutissement National Laïc ne sait plus à quel Saint se vouer.
    En parlant de Saint, qu’en pense notre dernier Pap de l’Abrutissement National ?

  9. Vous êtes toujours attendue. Mais vous nous désespérez. L’Education Nationale, pour ce qui est du domaine public, est en perdition. Son ministre et ses pédagogues tournent autour du pot pendant que la marmite déborde d’écumes. Les matières fondamentales sont négligées au profit d’élucubrations qui sapent leurs fondations. Nos médias distingués s’étonnent qu’une haine puisse naître à l’encontre de Macron. Un Macron bouche bée qui, au lieu de taper du poing sur la table, accompagne ces dérives. Mais dans quel monde vivent-ils ? Pourquoi aller chercher midi à quatorze heures alors que les méthodes du passé donnaient totale satisfaction ? Pourquoi ne pas s’inspirer de méthodes éprouvées par des asiatiques, les premiers  » de la classe » ? C’est désespérant. Le corps enseignant serait noyauté par la gauche. Cette gauche, est-elle très fière de son efficience ? Ajoutons ces associations qui pénètrent dans les établissements pour perturber, pervertir les enfants en matière de genre et de sexualité. Là aussi Macron approuve et soutient sans l’assentiment des parents d’élèves. On se demande pour quelles raisons les parents ne sont pas préalablement avertis de ces dits « enseignements » qui ne sont pas aux programmes. Ils auraient au moins la possibilité de soustraire leurs enfants de ces magouilles.

  10. Quel gâchis, avec l’argent de nos impôts ! Il ne manque plus que la notation des élèves par les professeurs, pour décourager définitivement ceux qui penseraient encore à avoir la vocation !
    Cela fait longtemps que les déconstructeurs du pays sont à la manoeuvre à l’éducation nationale, car s’attaquer aux futures générations est bien évidemment une priorité pour ces ennemis de la France !

  11. Encore des commentaires très optimistes sur une expérience montée en épingle par des personnes ou/et des organismes intéressés. J’ai connu des « leçons-modèles » fictives essayées plutôt deux fois qu’une avant exposé et avec des élèves triés sur le volet…. et que dire des « essais » de nouveaux programmes menés par des profs arrivistes avec des classes choisies aboutissant à un rapport optimiste pris au mot par les décideurs en la matière…..

  12. On n’entend jamais ceux qui s’élèvent tant (il suffit de voir le nombre de pétitions à ce sujet …) contre la pratique d’expériences sur les animaux, ne se manifestent jamais sur la pratique d’expériences sur nos enfants. Cela en dit long sur l’état de dépravation de notre société ; ce qui est scandaleux, c’est que ce sont les enfants, ces innocents qui en sont les premières victimes ! Et il paraît qu’on a un défenseur des droits, grassement rémunéré, dans notre pseudo démocratie ?

  13. En 1973, lorsque j’ai eu à enseigner ma spécialité chirurgicale, j’ai avant de débuter, demandé à mon ‘Patron » qu’elle était selon lui la meilleure méthode , il me répondit avec son sourire malicieux, « faites en sorte que les enseignants enseignent et que les étudiants étudient », je pense que l’important était dit.

  14. Merci madame Virginie Fontcalel pour cet article. Nous sommes face à un système qui pratique le sillogisme à outrance. Bien que nous soyons averti, il est tout de même surprenant que beaucoup adhèrent encore à de tels discours.

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