[Une prof en France] Ch. Démia : Charité et innovation pédagogique au XVIIe

école

Nous avions évoqué le fait de nourrir notre réflexion sur l'école des échos venus du passé. Commençons notre voyage par une charismatique figure du XVIIe siècle.

Prêtre lyonnais, Charles Démia (1637-1689) se consacra essentiellement à l'éducation des enfants pauvres. En cela, il ne faisait que suivre les directives de l'Église qui, depuis le début du Moyen Âge, créait des structures propres à accueillir les indigents. Ainsi le concile de Vaison, dès 529, demanda aux prêtres d’ouvrir gratuitement des écoles dans leur propre demeure. Ce fut confirmé en 789 par le capitulaire dit « d'Aix-la-Chapelle » par lequel Charlemagne exigea que « les prêtres tiennent des écoles dans les bourgs, qu’ils ne refusent pas d’instruire les enfants des fidèles, qu’ils n’exigent rien pour ce service et ne reçoivent que ce que les parents offriront de donner » (Pierre Giolitto, Histoire de l'École, p.18). On rapporte que l’abbé Guillaume de Saint-Bénigne-de-Dijon « institua des écoles où étaient dispensés gratuitement les bienfaits de l’instruction à tous ceux qui venaient aux monastères soumis à son autorité, et nul n’en était écarté. Tant s’en faut, serfs ou libres, riches ou pauvres, bénéficiaient sans distinction de cette marque de charité. » Tout cela fut réaffirmé continuellement par l'Église : le concile de Mayence (813) puis celui de Latran (1179) rappellent la nécessité faite aux Églises locales de prendre en charge l’instruction des enfants du peuple. Mais les guerres incessantes venaient souvent désorganiser un système fragile et compromettre cette offre scolaire qui avait vocation à mailler le territoire.

Préoccupé par la situation des enfants qu'il voyait errer dans les rues, dont ils renforçaient l'insécurité, Charles Démia ne cesse de souligner le lien qui existe entre qualité de l'éducation et paix sociale : le désordre, la violence et le vice sont, selon lui, les fruits du manque d'instruction et il est donc du devoir des autorités de veiller à l'éducation des enfants du peuple.

Il fonda alors en 1666, à Lyon, la congrégation des frères de Saint-Charles et son séminaire, sorte d'école normale où il recueillait des jeunes gens sans fortune se destinant à l'état ecclésiastique : ceux-ci, en retour de l'éducation gratuite qu'ils y recevaient, devraient instruire les enfants pauvres dans les différentes écoles de charité que gérait la congrégation. Une sorte de marché gagnant-gagnant.

Il put ainsi ouvrir, en 1667, une première école gratuite dans le quartier ouvrier de cette ville. Ce qui est nouveau, avec Démia, c'est qu'il a su dépasser le clivage, marqué depuis le XVIe siècle, entre les établissements municipaux et les écoles catholiques. Ayant adressé aux prévôts des marchands de Lyon des Remontrances pour l'établissement d'écoles chrétiennes pour l'instruction du pauvre peuple (1668), il obtint en effet une subvention annuelle pour l'établissement et l'entretien d'une école publique dans laquelle on apprendrait aux pauvres la lecture, l'écriture, le calcul et les principes de la religion chrétienne.

Dès 1675, alors que ses écoles de garçons se multipliaient, Démia ouvrit deux écoles gratuites de filles et, en 1680, il fonda la communauté des Sœurs de Saint-Charles, pour la formation des institutrices. Dans les écoles de filles, dont le nombre fut bientôt de six, les maîtresses, outre la lecture et l'écriture, enseignaient de petits ouvrages manuels, comme des boutons, de la dentelle, des gants… Là encore, tout était gratuit pour les enfants du peuple, et destiné à leur permettre de trouver leur place dans la société.

Démia réfléchit aussi à la pédagogie à mettre en œuvre avec ces enfants et préconisa l'enseignement entre pairs : « Il recommande de choisir, parmi les écoliers les plus capables et les plus studieux, un certain nombre d'officiers, dont les uns, sous le nom d'intendants et de décurions, seront chargés de la surveillance, tandis que les autres devront faire répéter les leçons du maître, reprendre les écoliers quand ils se trompent, guider la main hésitante des "jeunes écrivains", etc… » (Dictionnaire de Ferdinand Buisson).

Démia s'intéressa enfin à la formation des adultes : s'inspirant de ce que Charles Borromée avait mis en place en Italie dès le milieu du XVIe siècle, il proposa le dimanche des cours pour adultes, gratuits, toujours selon le principe qu'il défendit toute sa vie.

Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

7 commentaires

  1. Je suis tout à fait d’accord ! Il y a un lien, entre la qualité de l’éducation nationale et la paix sociale ! Mais la qualité de l’éducation nationale a atteint le niveau zéro de l’excellence ! Il ne faut plus s’étonner qu’il n’y plus de paix sociale en France et sur ce sujet Eric Zemmour et Reconquête ont entièrement ! Le Grand remplacement qui est en cour en France y ait pour beaucoup ! Hervé de Néoules !

  2. (BV 17/01/2024) Emeute 2023 Macron : « c’était des jeunes – c’est une erreur qu’on a commise – qui étaient souvent sans école depuis le mois d’avril », « Plus de classe… l’oisiveté. C’était des jeunes qui n’ont pas la chance d’avoir des familles qui les emmènent à la mer ou a la montagne, qui n’ont pas assez accès à la culture ou au sport… ils s’ennuyaient »

  3. Virginie, j’ai négligé cette merveilleuse image en présentation. Quelle beauté que ce mobilier ! C’est autre chose qu’une vulgaire planche recouverte de formica dressée sur quatre tubes. Il manque deux objets essentiels qui participaient à la fois à l’autorité, à la discipline, au dévouement. L’estrade et le poêle à alimenter situé au milieu de la classe. Bonne journée.

    • Tellement d’accord avec vous.
      Ce type de mobilier donne envie d’étudier. Il s’en dégage non seulement une atmosphère propice à l’étude mais aussi un encouragement pour les enfants à reconnaître et rechercher « le beau ».

  4. Bonjour Virginie. Surprise ! Votre présence espérée. En premier lieu vous remercier chaleureusement du temps de vos vacances consacré à nous enrichir. Un plaisir réciproque peut-être. Celui d’instruire, le vôtre, celui de recevoir, le nôtre objet d’une attention passionnée. Car la passion transpire dans vos textes. Je suis persuadé que tous vos lecteurs partagent cette idée. J’ai retenu votre développement sur « la nécessité de la lecture ». Un sujet attractif sur lequel je reviendrai. Ce nouveau texte sera également sauvegardé. Votre érudition remarquable est un plaisir qui m’a conduit à la réflexion suivante. La première leçon d’histoire adressée aux élèves devrait être celle de ce texte que vous nous présentez. Mais quelle révolution dans l’Education Nationale. Commencer par admettre que ce sont des prêtres qui ont, modestement, les premiers, engagé l’instruction des plus démunis. A son époque, le sieur Demia était très certainement considéré révolutionnaire, voire anarchique, un pestiféré, un lépreux nous dirait un Macron rangé dans le camp du bien. Élever la piétaille, la sortir de sa fange, quel sacrilège. La richesse de cette page d’histoire permet un foisonnement presque sans limites . A commencer par l’identification des classes sociales, leur mode de vie, leurs combats, leurs tensions, leurs animosités, leurs conflits personnels, régionaux, mondiaux. Avec le temps scolaire, suivre leurs évolutions pour aboutir en classes terminales à la lutte des classes toujours active, aux conflits d’intérêts dont commerciaux, à la séparation de l’église et de l’Etat, à ses effets sur l’instruction publique liés au poids du nombre et de la pauvreté intellectuelle. Quelles richesses à développer. Quelles motivations à soumettre, à provoquer ! Les profs d’histoire et de français en sont-ils conscients ? Ou, pour beaucoup d’entre eux, leur combat se limite-t-il à maintenir une routine pesante ? Routine à maintenir dans un créneaux imposé par l’air du temps. Se glisser dans les interstices permis par les religions, par LA religion. Virginie, je dois me retenir. Votre texte m’enflamme, ouvre des perspectives qui m’impressionnent. Nous avons à en remercier BV. Ses journalistes et chroniqueurs nous rapportent les vérités du temps présent. Là aussi vous savez qu’une lecture attentive permet l’enrichissement à notre portée. Car toute vérité peut se présenter sous diverses facettes plus ou moins mises en lumière. Il suffit d’orienter le projecteur là où souhaité. La vérité se découvre. Mais aussi la personnalité de son rapporteur. Il suffit de le lire avec attention, entre les lignes, d’apprécier le style, la forme, la présentation. Je dérive encore Virginie, à vous saouler. Une distraction dans vos vacances que je vous souhaite les meilleures. Reposez-vous bien. A la semaine prochaine ?

  5. Super initiative dont de nombreux pays devraient s’inspirer , garçons et filles méritent tous un minimum d’instruction .

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