[Une prof en France] Des élèves qui ne lisent plus sauront-ils penser ?

Ecolier enfant avec un livre

Il semble que la France, par l’intermédiaire de l’AFD (Alliance française de développement), continue de financer le développement de la Chine, pourtant deuxième puissance mondiale. On peut s’interroger sur la pertinence de ces financements, surtout si l’on se lance dans une opération spéculative en mode science-fiction et que l’on se projette dans l’avenir.

Comparons, brièvement, les élèves français et les élèves chinois. Il y aurait de nombreux angles d’approche, parmi lesquels la discipline, le sens de l’effort ou les méthodes utilisées. Mais si l’on prend le mal à la source, on trouve les capacités en lecture. Revenons au remarquable ouvrage de Michel Desmurget, Faites-les lire !, que j’avais évoqué dans une précédente chronique. On y apprend que la plupart des enfants des pays développés lisent très peu, alors même que, majoritairement, ils déclarent aimer lire. Ainsi, en France, 84 % des enfants de 6 à 17 ans disent aimer lire, 60 % en Australie, 68 % au Canada. Mais dans la réalité, 32 % des petits Français sont « non lecteurs », c’est-à-dire qu’ils ne lisent jamais aucun livre, contre 25 % des Australiens et 16 % des Canadiens. Pourquoi ne lisent-il pas ? Les écrans concurrencent fortement le livre, même en format numérique. C’est un fait. Mais il est aussi vrai que dans tous ces pays, les compétences en lecture ont chuté. Les adultes ne lisent plus non plus (84 % des gens nés entre 1945 et 1954 lisaient lorsqu’ils avaient entre 15 et 28 ans au moins un livre par an ; ce pourcentage a chuté à 58 % chez les « milléniaux » - ceux nés entre 1995 et 2004), mais ils savent lire. Chez les plus jeunes, le constat est alarmant. Si l’on se fonde sur les données du programme international PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study, 2021) pour le CM1 et du dispositif national CEDRE (Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon) pour le CM2, le taux moyen d’élèves compétents en lecture n’est que de 30 %, en France. 44 % des élèves ont même un niveau très faible, proche de l’illettrisme.

Or, comme l’écrit Michel Desmurget, « on peut s’inquiéter des conséquences culturelles, civiques et économiques de ces inaptitudes. Il est établi, par exemple, que les compétences intellectuelles de la population agissent positivement et nettement sur la santé économique d’un pays. » Revenons à mon introduction. Si vous ne l’avez pas déjà oublié, j’y parlais de la Chine. Les Chinois survolent le classement PISA depuis plusieurs années. Si l’on revient à la question de la lecture, seuls 3 % des enfants âgés de 6 à 17 ans, en Chine, sont « non lecteurs » (contre 32 % en France et 41 % aux États-Unis). Il faut donc commencer par le commencement, et réapprendre à nos élèves à lire correctement, puis leur redonner l’habitude de la lecture individuelle. Que les parents lâchent leur téléphone, sur lequel ils s’abreuvent eux-mêmes de vidéos en tout genre, et qu’ils parlent à leurs enfants, qu’ils leur lisent des livres quand ils sont petits et maintiennent le cap jusqu’au milieu de l’adolescence, le temps que les boucles cognitives se consolident.

Je laisse la conclusion à Michel Desmurget : « Depuis quarante ans, les nations occidentales se sont lentement tournées vers une économie des loisirs, du bien-être, de l’image et de la consommation. Nos enfants lisent de moins en moins, tout en passant de plus en plus de temps à se gaver d’écrans récréatifs. Cela a des conséquences majeures sur les aptitudes en matière de langage et d’attention et, donc, sur leurs performances scolaires. […] À l’opposé de cet affadissement, la Chine semble avoir maintenu le cap de la rigueur et de l’astreinte. » Après de nombreux siècles d’hégémonie européenne, « l’exigence de performance scolaire et intellectuelle est aujourd’hui bien plus importante en Chine, et plus globalement en Asie, que dans nos nations occidentales, au premier rang desquelles la France et les États-Unis. Dans de nombreux pays asiatiques, l’éducation des enfants est la priorité numéro un et les enseignants suivent des formations de qualité. » Pour boucler la boucle, si l’on tient compte de ces données, le financement du développement chinois par les prêts de l’AFD semble encore plus extravagant. Mais notre énième nouveau ministre, qui se définit lui-même comme « blogueur », saura sûrement prendre les mesures drastiques qui s’imposent…

Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

Un commentaire

  1. Non seulement ils ne lisent plus mais on ne leur fait plus ingurgiter les textes de nos Anciens. Or la littérature est l’exemple même de l’exposition de la pensée la plus profonde du pays, à même de développer l’esprit critique. La littérature française (et étrangère) est l’anti « Fabrique du crétin ». Il revient alors, aux parents qui ne peuvent plus compter sur l’EN, de mettre le nez de leurs enfants dans les ouvrages des grands auteurs.

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