[UNE PROF EN FRANCE] Des évaluations, pour tester quoi ?
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Évaluer fait partie du métier d’enseignant. Nous y consacrerons peut-être un jour une chronique, tant cette question est centrale dans tout le processus d’apprentissage, alors même que l’on se demande si les professeurs sont formés à cela avant d’être jetés devant des élèves (je connais déjà la réponse à cette question…).
Évaluer devrait aussi être le rôle de l’administration, vis-à-vis de ses membres comme vis-à-vis de ses politiques. Ce dernier point est nettement sous-développé en France, où l’on attend toujours des audits sérieux de l’efficacité des politiques publiques et des réformes engagées. Les enseignants, quant à eux, ne sont jamais évalués. Il y avait auparavant des inspections, qui n’étaient dans la plupart des cas que des vérifications de conformité idéologique diligentées par le Politbüro, et qui n’ont jamais ni sanctionné les mauvais pédagogues, ni surtout promu les bons. Elles ont aujourd’hui disparu, remplacées par de vagues rendez-vous de carrière dont personne, à commencer par les inspecteurs, n’a bien compris ni la fonction ni l’utilité, autre que celle de justifier le traitement desdits inspecteurs.
Les élèves en revanche sont toujours plus évalués. Un article d’Alternatives économiques du 15 novembre décrit l’école comme « malade de l’évaluationnite ». L’auteur rappelle à ceux qui ne sont pas du sérail que les élèves, en plus des contrôles réguliers proposés par leurs professeurs, sont soumis à des évaluations nationales en CP, CE1, CE2, CM1, CM2, 6e, 4e et 2nde ainsi qu’en première année de CAP. Heureusement, c’est en début d’année (scolaire pour une part, civile pour l’autre), et non en fin d’année, quand on fait déjà passer le brevet, le bac de français et ses épreuves orales qui s’étirent sur une semaine, le bac de Terminale et son fameux, et chronophage, Grand Oral, les épreuves de CAP, de BEP, de BTS, les concours des grandes écoles, etc.
La vraie question est de savoir ce qu’évaluent ces évaluations. Ce qu’ont fait les collègues des années précédentes et qui aurait survécu aux deux mois de vacances et au chaos de la rentrée ? Notre capacité à organiser toujours plus de tests numériques avec du matériel obsolète et des bandes passantes d’une telle fragilité qu’on se demande si l’on n’a pas des hamsters courant dans des cages au sous-sol pour les alimenter en électricité ? Dans mon établissement, on reçoit une notification en mode « Alerte Enlèvement » pour prévenir de la tenue des évaluations, car plus personne ne doit toucher un ordinateur pendant cette semaine-là, ni même s’en approcher, ni le regarder, de peur de faire sauter tout le système et de nous mettre en difficulté par rapport à la fameuse « fenêtre » pendant laquelle « nous avons toute liberté d’organiser les évaluations ».
Tout ça pour quoi ? Pour vérifier ce que l’on sait déjà, et produire toujours plus de tableaux et de statistiques que personne ne consulte à part quelques journalistes - les analystes sérieux sachant qu’il est plus simple de parler à un échantillon d’enseignants que de tester 6 millions d’élèves (ceux qui ont cette année passé les fameuses évaluations) pour apprendre qu’ils ne savent ni lire ni compter, que les inégalités sociales reviennent au galop et que sans un coup de semonce de type Panzerkraft, on ne marche pas vers des lendemains qui chantent… On a souvent accusé l’État de casser le thermomètre. Il a adopté une nouvelle tactique : la démultiplication exponentielle des thermomètres, qui a à peu près la même fonction, à savoir essayer de fausser le diagnostic - ce qui devient de plus en plus difficile tant les symptômes sont patents - pour ne surtout pas avoir à traiter le problème.