[UNE PROF EN FRANCE] Des évaluations, pour tester quoi ?

Tout ça pour quoi ? Pour vérifier ce que l’on sait déjà.
©Shutterstock
©Shutterstock

Évaluer fait partie du métier d’enseignant. Nous y consacrerons peut-être un jour une chronique, tant cette question est centrale dans tout le processus d’apprentissage, alors même que l’on se demande si les professeurs sont formés à cela avant d’être jetés devant des élèves (je connais déjà la réponse à cette question…).

Évaluer devrait aussi être le rôle de l’administration, vis-à-vis de ses membres comme vis-à-vis de ses politiques. Ce dernier point est nettement sous-développé en France, où l’on attend toujours des audits sérieux de l’efficacité des politiques publiques et des réformes engagées. Les enseignants, quant à eux, ne sont jamais évalués. Il y avait, auparavant, des inspections qui n’étaient, dans la plupart des cas, que des vérifications de conformité idéologique diligentées par le Politbüro et qui n’ont jamais ni sanctionné les mauvais pédagogues ni, surtout, promu les bons. Elles ont aujourd’hui disparu, remplacées par de vagues rendez-vous de carrière dont personne, à commencer par les inspecteurs, n’a bien compris ni la fonction ni l’utilité, autre que celle de justifier le traitement desdits inspecteurs.

Les élèves, en revanche, sont toujours plus évalués. Un article d’Alternatives économiques du 15 novembre décrit l’école comme « malade de l’évaluationnite ». L’auteur rappelle à ceux qui ne sont pas du sérail que les élèves, en plus des contrôles réguliers proposés par leurs professeurs, sont soumis à des évaluations nationales en CP, CE1, CE2, CM1, CM2, 6e, 4e et 2nde ainsi qu’en première année de CAP. Heureusement, c’est en début d’année (scolaire pour une part, civile pour l’autre), et non en fin d’année, quand on fait déjà passer le brevet, le bac de français et ses épreuves orales qui s’étirent sur une semaine, le bac de terminale et son fameux et chronophage grand oral, les épreuves de CAP, de BEP, de BTS, les concours des grandes écoles, etc.

La vraie question est de savoir ce qu’évaluent ces évaluations. Ce qu’ont fait les collègues des années précédentes et qui aurait survécu aux deux mois de vacances et au chaos de la rentrée ? Notre capacité à organiser toujours plus de tests numériques avec du matériel obsolète et des bandes passantes d’une telle fragilité qu’on se demande si l’on n’a pas des hamsters courant dans des cages au sous-sol pour les alimenter en électricité ? Dans mon établissement, on reçoit une notification en mode « Alerte enlèvement » pour prévenir de la tenue des évaluations, car plus personne ne doit toucher un ordinateur pendant cette semaine-là, ni même s’en approcher, ni le regarder, de peur de faire sauter tout le système et de nous mettre en difficulté par rapport à la fameuse « fenêtre » pendant laquelle « nous avons toute liberté d’organiser les évaluations ».

Tout ça pour quoi ? Pour vérifier ce que l’on sait déjà et produire toujours plus de tableaux et de statistiques que personne ne consulte, à part quelques journalistes - les analystes sérieux sachant qu’il est plus simple de parler à un échantillon d’enseignants que de tester 6 millions d’élèves (ceux qui ont, cette année, passé les fameuses évaluations) pour apprendre qu’ils ne savent ni lire ni compter, que les inégalités sociales reviennent au galop et que sans un coup de semonce de type Panzerkraft, on ne marche pas vers des lendemains qui chantent… On a souvent accusé l’État de casser le thermomètre. Il a adopté une nouvelle tactique : la démultiplication exponentielle des thermomètres, qui a à peu près la même fonction, à savoir essayer de fausser le diagnostic - ce qui devient de plus en plus difficile, tant les symptômes sont patents - pour ne surtout pas avoir à traiter le problème.

Picture of Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

26 commentaires

  1. Ah oui parlons en, en vrac quelques expériences et idées suite à mes 3 enfants aujourd’hui dans la vingtaine :
    ..on fait 4 évaluations sur 5 points sur 4 cours différents, que l’on additionne ensuite pour faire une note sur 20. Ainsi selon le degré de vacuité des réponses à chacun des tests le professeur pourra ajuster la difficulté pour monter la note finale sur 20.
    .. On met les devoirs sur MBN plate-forme numérique, ainsi on peut faire son cours sans savoir ce qu’on va donner comme devoirs pour le prochain cours, ce qui oblige les jeunes et les parents à consulter tous les jours MBN et à suivre de près écran interposés si le jeune fait bien son travail, et parfois les devoirs tombent le dimanche pour le lendemain ( ! ), alors qu’il suffit de noter au tableau en 1 min à la fin du cour les devoirs à faire, et que l’élève reporte dans son cahier de texte. Mais pourquoi faire simple si on peut faire compliqué ?
    ..interdire les devoirs du type qcm ou texte à trous, car ne développe ni la pensée ni la structuration des idées. Lecture obligatoire en classe 2 heures toutes les semaines et cela jusqu’au lycée, là le français progressera.
    ..Deux mois de vacances d’été ? Vous êtes gentille … Avec les profs absents et les lycées et collèges qui envoient des directives à partir de début juin « ça nous arrangerait bien si vous gardiez votre jeune à la maison mais si l’idée vient de quand même venir il sera accueilli ». C’est plutôt 3 mois de vacances ! Et saviez-vous qu’en Allemagne il n’y a que 5 semaines de vacances d’été et cours réels jusqu’à la fin, et que la période de Carnaval (nos vacances de février) qui est une véritable institution Outre-Rhin ne donne que 3 jours de vacances scolaires ?

    • Ah et oui, et j’oubliais : tous les 6 ou 7 ans chaque prof quel que soit le niveau du primaire à la fac doit passer une année scolaire en entreprise. Cela façonnera mieux la transmission des savoirs et savoirs-être à la jeune génération, et permettra de constater in situe si l’Education Nationale et consorts font du bon boulot… ou pas.

  2. Et si on évaluait les décideurs d’évaluations? Ils seraient certainement tous recalés car ne sachant se servir de leur tête.

  3. Obligez les profs du primaire au lycée à occuper un mois par an à faire des cours de rattrapage et dans dix ans le niveau sera peut être meilleur, mais vu la mentalité de 35% d’entre eux je n’en suis pas sûre !!!

  4. Texte magnifique d’ironie et d’humour. Le problème est qu’il faut évaluer, sans en avoir l’air, et surtout sans dire au nom de quoi. C’est ainsi dans l’enseignement, surtout public. Après dans la vie, c’est plus brutal.

  5. Depuis de decennies on éduque les enfants en les tirant vers le bas. Je m’en suis aperçu lorsque j’ai comparé l’éducation que j’ai reçue dans les années 50/60/70 avec celle que mon fils a reçue- les méthodes d’antant étaient pourtant bonnes. J’ai acheté dans un vide grenier un livre de maths des années 1900, si vous saviez comme tout était décortique et moi qui suis nulle en maths, je comprenais le processus. On veut faire de nos enfants des nullards parce qu’ils risquent de faire de l’ombre. A notre époque il faut avoir vraiment un cerveau bien fait pour parvenir à comprendre. De mon temps pas de polycopies, on écrivait soi même les cours ce qui permettait d’avoir une belle écriture. Certains enfants qui ont plus de mal dans leurs études laissent tomber à un certain moment et je les comprends. J’ai dû mettre mon fils dans une école privée afin qu’il bénéficie d’une éducation un peu meilleure même si ce n’était pas le top.

    • Bon jour Madame, belle écriture…pour quoi faire ! Tant que la fée électricité débite, nous frapperons en masse un clavier.
      Après, un jour, nous serons peut-être appelés à réutiliser un silex pour buriner les parois rocheuses et laisser des traces indélébiles. Pour le moment les débiles se multiplient et il faut le savourer avec le sourire pour mieux supporter la vie et se sentir heureux d’être vieux et sur le déclin…

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Qu’est-ce qui enferme les femmes en France aujourd’hui ? C’est l’insécurité
Gabrielle Cluzel sur CNews
Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois