[Une prof en France] Des professeurs de collège pour corriger le bac ?

Certains n'ont jamais enseigné en lycée et ne connaissent donc ni les programmes ni le niveau des élèves.
bac

Depuis quelques années, nous voyons des professeurs de collège convoqués pour faire passer les épreuves du baccalauréat. C'était, au début, épiphénoménal : on convoquait les agrégés au motif que leur concours les destinait normalement à enseigner au lycée et qu'ils étaient donc « au niveau », même si leur affectation concrète les maintenait en 5e ou en 4e (25 % des agrégés sont en effet affectés en collège, souvent contre leur gré). Puis des certifiés ont été aussi convoqués, dont certains n'avaient jamais enseigné en lycée et ne connaissaient donc ni les programmes ni le niveau des élèves.

Hier, j'ai été convoquée à une réunion en visioconférence de préparation des oraux du baccalauréat de français. Comme le savent peut-être ceux qui suivent mes chroniques depuis un certain temps, je suis agrégée, docteur ès lettres et qualifiée au grade de maître de conférence à l'université, mais j'ai été affectée en collège il y a 18 mois à l'occasion d'un changement d'académie pour venir renforcer les effectifs d'un établissement sensible dans lequel le manque d'enseignants devenait handicapant. Nous ne sommes pas une des académies les plus peuplées de France ; pourtant, à cette réunion, nous étions plus de 70 professeurs de lettres. Et j'étais la seule à avoir une expérience du bac de français, écrit comme oral. Les autres « débutaient », selon le joli mot de l'animatrice, et découvraient les épreuves… qu'ils vont corriger dans deux semaines.

Cela soulève plusieurs questions. La première est déontologique. Comment un enseignant, qui doit assurer ses cours et entre dans la période des conseils de classe et des innombrables réunions de préparation de la prochaine rentrée, sur lesquelles se greffent les réunions concernant la réforme amorphe que le ministère essaie d'imposer sans en avoir même défini les contours, comment ces enseignants, donc, pourraient-ils évaluer correctement des élèves de première, pour une épreuve sur programme ? Je rappelle que le programme de français de 1re compte 12 œuvres et que les professeurs seront donc amenés à corriger des dissertations sur des œuvres qu'ils n'auront pas travaillées et qu'ils n'auront peut-être même pas lues, car qui a lu La Rage de l'expression de Francis Ponge ou Mes Forêts d'Hélène Dorion, à part les professeurs de première ? Il semble évident qu'un collègue qui enseigne depuis dix ans à des élèves de 6e et de 5e dans un collège sensible va trouver que les candidats de première sont très bons et qu'ils savent plein de choses ! Il sera certainement plus bienveillant - et généreux - que des professeurs de lycée chevronnés, et nous verrons très assurément une inflation des notes. Là est sans doute le résultat escompté de cette aberration pédagogique.

La seconde question est logistique, ou politique si l'on veut. Où sont les professeurs de première ? Normalement, tous les élèves de première ont un professeur, et ceux-ci ont toujours suffi, peu ou prou, à assurer les examens. Un examinateur fait passer environ 70 candidats, ce qui équivaut à deux classes complètes. Il n'y a aucune raison que dans notre académie on ait besoin de recruter plus de 60 examinateurs supplémentaires. On a parfois eu besoin de renforts, à la marge, surtout depuis que l'on a multiplié les centres d'examen de manière à limiter la concentration d'élèves en un même point, après l'hystérie covidienne - en faisant semblant d'oublier que tout le reste de l'année, il y avait 1.500 élèves réunis au même endroit toute la journée, soit bien plus que les candidats au bac de français… Pourquoi a-t-on tout à coup besoin, cette année, d'autant de professeurs de collège ? Où seront les professeurs de lycée, dont les cours s'arrêteront autour du 8 juin ? Quelques professeurs de lettres seront mobilisés pour le grand oral - la blague… - et pour les corrections de la spécialité HLP (humanités-lettres-philosophie), mais là encore, c'est presque anecdotique et cela n'empêche pas de faire passer les oraux de français. S'il manque sur le terrain tant de professeurs de français, pourquoi les parents ne réagissent-ils pas ? Et pourquoi n'arrive-t-on pas, alors, à être muté en lycée, même quand on est agrégé ? La priorité du ministère serait-elle seulement d'avoir des gens pour faire de la garderie en collège, les jeunes adolescents étant aujourd'hui un public sensible que l'on ne souhaite pas voir traîner dans la rue ? Autant de questions qui laissent songeur. On en vient presque à espérer qu'une vraie réponse existe et que tout ne vient pas seulement de l'impéritie et de l'amateurisme de ceux qui gèrent cette grosse machine.

Picture of Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

26 commentaires

  1. Bonjour Virginie. Toujours autant chirurgicale ! Les viscères de l’Education Nationale en dérangement … Une logique défiant les plus pointus en la matière. Pour en venir à ce je crois de plus en plus : une volonté délibérée de déconstruire pour mieux affaiblir les résistances au changement, la construction d’une Europe Fédérale où les Nations ne seraient que soumises : « Aux pieds ». Qui plus est, il faut bien s’adapter à ce qui se présente sur le territoire français ! Du haut de gamme en matière d’éducation serait et devient inaccessible pour beaucoup. Une bonne vieille « autoroute » de l’Education devient indispensable. Niveler, contourner et surtout ne plus affronter. Trop d’efforts à développer, ce n’est plus dans ce fameux « air du temps ». Une expression qui doit vous être insupportable tant elle est vulgarisée dans son insignifiance. La poubelle des idées non formulées, imperceptibles par défauts de culture générale. Le refuge des inconditionnels du « non dit », du déni . Les pros du « en même temps », du « pas de vague » . Vous connaissez. Hé oui, Virginie, nous sommes nombreux à regretter les performances du passé. Certains de vos fans évoquent le Certificat d’Etudes Primaires. Je suis presque certain que des bacheliers des temps modernes échoueraient aux épreuves d’un tel examen des années 30. Pour en venir à cette perte de culture liée à la mauvaise exploitation des ressources des meilleurs enseignants. Lamentable et quoi qu’on en dise, quelle humiliation face aux efforts fournis pour atteindre le niveau attendu, niveau non respecté par de vulgaires ronds de cuir, piétiné. Un non dit d’une « mise au placard » . Ce ne sont pas toujours les meilleurs qui « arrivent » comme il se dit. Comme dans le privé, ce sont parfois ceux qui trainent le plus dans les couloirs, ceux en recherche de la personne susceptible de porter leur ambition, les plus filous et opportunistes, ceux-là prospèrent parfois plus rapidement. Ainsi se défait la France au goutte à goutte. La macronie, toujours dans l’irresponsabilité, rejette le mal sur le passé mais 7 années de pouvoir, 7 années de déconstruction. Aucun redressement . Désolant, pour rester dans la mesure. Mais ils gonflent le torse. Heu…reux. Virginie, l’eau passe sous les ponts, tumultueuse, chargée de terres et détritus amis elle revient toujours au clair. Ne désespérons pas. La puissance par nature est toujours gagnante. Toujours heureux de vous lire. Instructif . Bonne semaine Virginie.

  2. De même que nos zélites ne veulent plus de médecins, elles ne veulent plus de professeurs de français, après avoir dézingué l’enseignement du grec et du latin ! Il faut supprimer tout ce qui rappelle les origines de notre belle France et de notre culture ! A Orléans, des étudiants étrangers admis en université ne parlent pas le français, j’ai donc demandé comment ils pouvaient suivre les cours , on m’a répondu gêné qu’ils devaient les suivre en anglais ! Donc, nous accueillons des « étudiants » (beaucoup d’origine sub-saharienne) venus obtenir des diplômes sans comprendre notre langue et nos enseignements !

  3. Le mitterrandisme n’en finit pas de démolir l’éducation nationale.
    Le nivellement par le bas, encore le nivellement par le bas, toujours le nivellement par le bas, rien que le nivellement par le bas…

  4. Au point où on en est, pourquoi ne pas donner le bac à tout le monde ? Cela évitera les soupçons de discriminations et coûtera bien moins cher au con-tribuable spolié ! Je connais des gens qui vont « se faire un peu d’argent » en allant corriger le bac et c’est plus qu’inquiétant. Un peu du niveau de nos dirigeants …

  5. Ceci n’a aucune importance puisque le but n’est pas d’obtenir le bac mais d’avoir 90% de reçus. J’étais jury d’examen dans le technique, mais s’il faut étaler ses parchemins, j’ai 15 ans d’études et je suis au top dans la hiérarchie de la profession en plus j’ai enseigné et on peut être un très bon enseignant, être capable de transmettre le savoir sans être obligatoirement agrégé, parce que ça on le porte en soi. J’ai vu des sujet où la réponse était dans l’énoncé et on repêchait avec des notes souvent en-dessous de 7 mais il fallait un % de réussite, dans le technique c’est moins grave parce que l’employeur ou le DRH sait tout de suite à qui il a à faire, c’est lui qui décerne le diplôme en fin de comptes.

  6. Pauvres élèves et pauvres parents ..c’est lamentable..encore une ministre à côté de ses pompes ..le pays sombre …

  7. Où sont les profs , presque le titre d’une chanson, quoi qu’il en soit puisque le plus difficile de nos jours est d’échouer au BAC, quel besoin de profs compétents, grand principe de l’éducation dite nationale.

  8. Un prof m’a dit-il ,y a vingt ans «  les cancres d’aujourd’hui seront les profs de demain « 
    On y est.

  9. Notre Ministre actuelle, Mme Belloubet, utilise sans aucun doute l’IA. Mais l’Intelligence est Humaine, et Artificielle veut dire qu’elle n’existe pas. C’est là qu’on comprend mieux le résultat.

  10. Normal ..Le bac est souvent plus facile que le certificat d’étude primaire d’il y a 50 ans…d’ailleurs,beaucoup de ces correcteurs ne possèdent que partiellement les capacités de correction du …certificat d’études primaire…

    • C »est différent c’est tout, parce que les besoins ont changé mais si vous passez le bac international vous verrez que ce n’est pas une partie de plaisir, quant au bac en France si on travaille on a un niveau correct, puis après on fait une prépa et on peut être d’un bon niveau. J’expliquais il y a quelques mois à un étudiant venant de l’étranger avec un bas international, un bachelor obtenu dans une grande université étrangère et ayant son billet d’entrée dans une des 3 grandes écoles de commerce, que les français avec leur petit bagage, qu’il semblait un peu mépriser, je lui expliquais que ces gens-là étaient intelligents et que dans quelques mois ils seraient peut-être meilleurs que lui, c’est ce qui c’est produit, il a vu qu’ils s’étaient vite mis au niveau, parce qu’ils travaillent.

    • Entièrement d’accord ! et même le certif de 1914 : j’en veux pour preuve mes arrière-grands oncles et tantes à la campagne qui parlaient un français sophistiqué et beaucoup plus châtié que nos ministres actuels.. ( et les calculs de tête et les règles de trois)

  11. Des amateurs et des saboteurs qui gèrent non seulement la  » grosse machine  » mais le pays et nous le constatons au quotidien , partout dans ce pays .

  12. L’école représente l’avenir. L’élite d’aujourd’hui n’est que le fruit du processus d’éducation que l’école d’hier a distillé. Eu égard au niveau de réflexion de ceux qui nous dirigent, on est en droit de penser que le malaise dans l’éducation nationale commence à dater. Dominique Venner l’avait dénoncé: la plus grande faute du général de Gaulle fut d’avoir confié l’éducation nationale aux communistes. On ne peut que constater qu’il ne s’était pas trompé.

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Je croyais qu’on avait réglé le problème des squats avec la dernière loi, mais non
Gabrielle Cluzel sur CNews
Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois