[Une prof en France] La corruption de la jeunesse : une entreprise

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Il fut un temps où l’enfance était vue comme un trésor d’innocence à préserver. Il y avait le monde des adultes, dans lequel l’exposition à la sexualité était choisie, et le monde des enfants, qui en était protégé. Comme toutes les frontières en Europe, celle qui sépare l’univers adulte de l’espace enfantin s’est estompée et est devenue largement perméable, à tel point que l’on peut légitimement se demander s’il n’y a pas un ciblage concerté des enfants pour les sexualiser le plus tôt possible. Les chiffres sont assez préoccupants. Une étude de l’Arcom offre une vue partielle de la consommation pornographique chez les jeunes. L’accès des adolescents aux contenus dits « pour adultes » ne cesse d’augmenter. Le medium essentiel est le téléphone portable, dont papa et maman dotent leur chéri-bibi dès 9 ans, en croyant ainsi pourvoir le protéger et le garder sous contrôle. En réalité, ils lui offrent la boîte de Pandore et lui en laissent la clé, sans aucune régulation.

Quelques chiffres, pour comprendre de quoi nous parlons. 30 % des consommateurs de contenu pornographique ont moins de 18 ans. La moyenne d’exposition est d’une heure par mois mais monte à plus de deux heures chez les grands adolescents. Dès 12 ans, la moitié des garçons se rend chaque mois sur un site pornographique. À partir de 16 ans, ce sont près des deux tiers qui s’y rendent mensuellement, à 75 % sur leur téléphone portable. Un enfant sur trois de moins de 12 ans a été exposé à du contenu pornographique, ce qui est énorme. Et la première exposition a maintenant souvent lieu avant 11 ans.

Cela change le regard que l’on pose sur nos élèves. J’ai du mal à intégrer cela à mon schéma mental et à leur parler comme à des enfants, tout en gardant à l’esprit les « expériences » qu’ils ont déjà faites dans l’univers numérique. Comment leur faire comprendre la réaction de Frédéric devant Mme Arnoux à la fin de L’Éducation sentimentale ? « Elle acceptait avec ravissement ces adorations pour la femme qu’elle n’était plus. Frédéric, se grisant par ses paroles, arrivait à croire ce qu’il disait. Mme Arnoux, le dos tourné à la lumière, se penchait vers lui. Il sentait sur son front la caresse de son haleine, à travers ses vêtements le contact indécis de tout son corps. Leurs mains se serrèrent ; la pointe de sa bottine s’avançait un peu sous sa robe, et il lui dit, presque défaillant : — La vue de votre pied me trouble. Un mouvement de pudeur la fit se lever. »

On est bien loin du scénario type des fameuses vidéos qu’ils consomment comme de la trame usuelle des « comédies érotiques » qui ont les faveurs de Netflix et autres plates-formes. On retrouve cette intrusion dans les livres donnés à lire aux élèves, ou simplement proposés, dans lesquels ils subissent de nombreuses scènes d’une rare crudité, qu’il s’agisse des ouvrages d’Agota Kristof, d’Édouard Louis ou, plus récemment, de l’un des romans inscrits au Goncourt des lycéens, Le Club des enfants perdus, de Rebecca Lighieri, dénoncé par les dernières associations se souciant encore de moralité, pour ses passages évoquant sodomie, inceste, soumission et sadomasochisme. La question ne porte pas sur la qualité intrinsèque de ces œuvres mais sur leur inadaptation à un public de jeunes adolescents.

On a parfois le sentiment de vivre à Sodome et Gomorrhe. L’apathie des parents face à l’entrisme de certaines associations dans les écoles et l’application disciplinée, voire enthousiaste, par certains professeurs de programmes toujours plus délirants révèlent l’anesthésie morale de la société, qui n’a plus les ressources psychiques ni le cadre mental nécessaires à une vraie résistance.

Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

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