[Une prof en France] La formation des profs : gabegie et hypocrisie

professeur

Les médias font des gorges chaudes des « job dating » grâce auxquels les nouveaux professeurs sont recrutés. Comme si c'était une nouveauté. 

Depuis plus de dix ans, on peut décrocher le CAPES de maths en ayant moins de 7 de moyenne aux épreuves, et celui de professeur des écoles avec moins de 5/20 au concours. Pourtant, cette baisse constante des exigences - car il ne faut évidemment pas imputer la faiblesse des résultats à une excessive difficulté des sujets - n'a pas permis de recruter suffisamment d'enseignants pour que toutes les classes soient dotées. Malgré la propagande malthusienne intensive qui, au nom de l'écologie, du chaos ou de l'épanouissement personnel, incite les Français à avoir toujours moins d'enfants, il semble que la population scolaire soit toujours disproportionnée par rapport au vivier d'enseignants potentiels. La distorsion devient criante en 2022, avec plus de 4.000 postes non pourvus sur les 27.332 ouverts aux concours. 4.000 postes, cela concerne plusieurs centaines de milliers d'élèves qui vont manquer d'enseignants dans certaines disciplines.

On pourrait chanter avec Patrick Juvet : « Où sont les proooofs ? »

Je ne reviendrai pas sur les raisons de ce désastre, de l'indigence des salaires à la crise de l'autorité. Comme il s'agit de petites chroniques de terrain, je parlerai simplement de la gestion hallucinante des personnels survivants par les ressources humaines de l'Éducation nationale, enfin, par les algorithmes qui les remplacent, sûrement élaborés par des candidats recalés qu'on a enfermés dans des caves sans oxygène, car comment expliquer, sinon, qu'ils soient aussi mal conçus ? 

Je ne parlerai pas de mon cas personnel, qui est aberrant, mais de deux de mes collègues. La première, diplômée, expérimentée, chargée de cours à l'université en littérature et linguistique médiévales, lettres classiques, munie de toutes les certifications complémentaires existant (FLE - français langue étrangère -, théâtre, histoire de l'art), a fait une pause de six mois pour commencer un nouveau doctorat et a été réintégrée comme remplaçante dans mon collège, qui est à 1 h 30 de chez elle. On manque d'enseignants partout en lettres et on ne peut pas trouver un poste fixe à une titulaire, et un poste correspondant à ses compétences ? Au CAPES de lettres classiques, l'an dernier, il n'y a eu que 65 candidats pour les 138 postes ouverts au concours, et 55 admis, c'est-à-dire juste 5 de plus qu'à l'agrégation. Mais l'on décourage les enseignants titulaires en les nommant sur des postes ineptes, qui n'ont aucun lien avec leurs qualifications réelles et qui sont parfois très éloignés de leur domicile, quand les postes près de chez eux restent non pourvus. Sur ces postes, on espère peut-être nommer des contractuels, qui peuvent se permettre d'être plus exigeants car ils ne sont pas tenus par un statut de fonctionnaire totalement décalé par rapport au marché actuel du travail, et ils peuvent choisir leur affectation, au milieu de la mer de postes vacants qui s'offre à eux, quand les titulaires sont affectés au petit bonheur la chance. 

La seconde, une bonne amie, a décidé de devenir enseignante à 45 ans, après des années de travail dans des entreprises privées, car elle voyait les besoins criants et pensait que son devoir était de venir « aider ». Forte de ses diplômes universitaires, elle envoie un dossier de candidature pour devenir maître auxiliaire dans l'enseignement privé. On lui répond aussitôt. Et on lui demande de commencer… le lendemain. Elle m'appelle, paniquée, après avoir obtenu un délai de quatre jours. Nous avons passé la fin de semaine à évoquer les fondamentaux du métier d'enseignant, car il ne suffit pas d'avoir fréquenté l'école pendant des décennies pour pouvoir passer de l'autre côté du bureau. Elle a été jetée dans le grand bain, sans formation, sans accompagnement, sans tuteur, sans conseils autres que ceux que les collègues plus chevronnés voulaient bien prendre le temps de lui donner. Elle a tenu cinq ans avant de démissionner, écœurée. J'en ai vu passer des dizaines comme cela, des jeunes, des moins jeunes, qu'on a laissés se noyer face à des classes composées d'adolescents toujours moins cadrés, sans leur donner aucune des clés qui leur auraient permis de devenir de vrais professeurs. 

L'urgence absolue, selon moi, est la formation des enseignants. Une formation académique solide et une vraie formation à la gestion de classe, avec la restauration d'outils disciplinaires dignes de ce nom. Si on ne le fait pas, le problème de l'école se résoudra en partie de lui-même : en de nombreux endroits, il n'y aura tout simplement plus d'école, car il n'y aura plus de professeurs.

Quand j'ai débuté, je vivais au quotidien le « prof bashing ». Aujourd'hui, quand je dis que je suis enseignante, on me répond généralement « Je n'aimerais pas être à votre place ». C'est bien triste, car cela reste un métier exceptionnel.

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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

23 commentaires

  1. Il n’y a pas que la formation des instituteurs ( pardon, professeur des écoles) et des professeurs à revoir, il y a aussi le contenu de ce qui est enseigné.

  2. J’ai eu la chance d’aller à l’école dans les années 50 et 60 du siècle dernier (Bac en 1966, 15% de ma classe d’age mais les 3/4 de mes camarades de classe prenaient comme moi « l’ascenseur social »). Je me souviens bien de tous mes instituteurs qui à l’époque sortaient de « l’école normale » avec le niveau « brevet supérieur » un an avant le bac. Et de la plupart de mes professeurs pour qui le capes et l’agrégation était des concours difficiles. A mon avis, les enseignants ont depuis les années 70 « scié leur branches », en se laissant volontiers « prolétariser » : avant, les instituteurs et professeurs (même pas très bien payés) était des notables, ils faisaient cours souvent à plus de 40 élèves, en étant bien habillés et en ne tolérant aucune indiscipline.

  3. Je puis vous dire que c’est la même chose dans le cadre de la formation continue.
    Une fois, complètement écœurée par un groupe de stagiaires (tous dans la fonction de soignants!) qui ne savaient strictement rien (qu’avaient ils appris pendant leurs études?) mais affirmaient savoir tout (et ne comprenaient pas que leur directeur leur impose une formation continue) mon conjoint (prof en LEP, niveau Bac Pro) me répond : « c’est normal, tu as, quelques années de travail après, ceux que j’ai vu défiler dans ma classe »!
    J’avoue depuis être inquiète sur la façon dont nous risquons d’être pris en charge dans veux jours.
    Oh oui, c’est vrai, ils veulent nous euthanasier! (si tant est que les nouveaux soignants sachent ce qu’est une seringue… Certains stagiaires que j’ai eus pensent que l’éthique c’est en fait les/des tiques!)

  4. L’administration de l’Education Nationale Française, le Mammouth comme certain l’appelle, est sans doute la pire administration de l’Etat après la justice…
    Quant au niveau, il ne risque pas de s’arranger. On en finirait pas d’énumérer toutes les stupidités qui ont conduit à cet état lamentable. Les méthodes pédagogiques débiles. Le Bac pour tous qui a dévalorisé complétement ce diplôme lequel n’est même plus du niveau du certificat d’étude que passait nos parents. L’absence de sélection à l’entrée à l’université. l’absence de respect et de discipline joint à l’insondable bêtise de certains parents irresponsables…

  5. Vous décrivez exactement ce que j’ai constaté en Union Soviétique (au temps de l’URSS) à l’occasion de mes périples professionnels. Une administration irresponsable constituée de sélectionneurs, d’orienteurs, de contrôleurs emplis de suffisance. Le monde tourne autour de leur nombril. Un privé ambitionne d’enseigner ? « Quel prétentieux ! Attends mon petit, on va te faire goûter à la chose ». Il est ainsi plongé dans la marmite bouillante sans aucune retenue. Le mammouth a les pieds sales et la tête ulcérée. Comment voulez-vous que le corps soit positivement conditionné ? Surtout avec des dirigeants qui privilégient la déconstruction de la France, par ricochet de l’Education Nationale, en exploitant des futilités, un entrisme d’associations déjantées qui n’ont rien à faire dans une école et qui distraient des enseignements fondamentaux. Une France en perte de vitalités, dans tous les domaines. La recherche elle-même est atteinte.

    • Le pire est sûrement en lycée professionnel. Les enseignants peuvent même être recrutés sans aucun diplôme.je ne parle pas d’orthographe parce que là, on atteint des sommets de nullités. J’ai vu un jour un enseignant mettre un coup de tête à un élève, oui oui vous avez bien lu. Et pour respecter le fameux »pas de vague » l’enseignant qui était contractuel a été reconduit l’année suivante avec un rapport de la cheffe d’établissement en béton.

  6. J’ai rencontré un jeune qui a démarré à la dernière rentrée sa formation pour être enseignant, formation sur 5 ans. Il m’a dit qu’on leur avait déjà appris que si Mélanie décidait tout d’un coup qu’elle était un garçon et que son nouveau prénom était Pierre, l’enseignant était obligé de l’appeler Pierre. …. Je n’ai pas eu le temps de lui demander combien d’heures ont été consacrées à l’apprentissage de la lecture, des maths, de l’histoire, de l’éducation civique, ni aux méthodes de maintien d’une classe. Je suis également étonnée du très peu de nombre d’heures de cours dans cette filière dont les études durent quand même 5 ans. A 35 h/semaine, on pourrait réduire la formation à 3 ans, voire moins ….

  7. Qui va former les enseignants ?

    L’ intelligence artificielle ne va t’elle pas arrivé en classe?
    Les enseignés seraient tous égaux avec le même professeur sur écran dans les classes ….i

    Le genre humain a grand intérêt à bien formater l’ intelligence artificielle dès sa naissance !

    • Le pire est sûrement en lycée professionnel. Les enseignants peuvent même être recrutés sans aucun diplôme.je ne parle pas d’orthographe parce que là, on atteint des sommets de nullités. J’ai vu un jour un enseignant mettre un coup de tête à un élève, oui oui vous avez bien lu. Et pour respecter le fameux »pas de vague » l’enseignant qui était contractuel a été reconduit l’année suivante avec un rapport de la cheffe d’établissement en béton.

  8. IL faudrait éviter le terme malthusien dans ce contexte car cela se rapporte à la population à son contrôle ce qui serait d’actualité au vu de l’immigration invasion et de la réduction de ressources agriciole et naturels.

  9. Les USA qui ont des ét.des payantes et fort chères ne sont pas mieux lotis, Berceau du wokisme les outrances affectent les professeurs qui ne trouvent pas d’aide de la part de leur hiérarchie et peu de considération de la part. des parents et encore moins des étudiants. Si les grandes pointures semblent encore prêservées nul doute que le ver soit dans le fruit.
    Il semblerait que la civilisation occidentale en perdition trouve partout son plein épanouissement.
    .

  10. J’en suis tout « speechless », comme dirait sûrement, pour faire bien et étalé sa science de l’anglais, celui qui squatte l’Élysée.
    Non seulement après « tout ça », merci Madame, « on » ; toujours les mêmes journalistes de médias gauchistes aux ordres ; feindra de s’étonner que les universités françaises caracolent tout en bas du tableau comparatif international des universités dans le monde.
    Mais « on », toujours les mêmes, pondra des programmes à l’usage des français, ceux qui survivent encore sur les chaînes de TV de propagande officielle, et histoire de discréditer des pratiques « odieuses » sur les écoles des pays asiatiques, qui forment elles des élites qui sont exportées dans le monde entier, une fois qu’elles ont atteint l’âge de diriger le monde.

  11. Les problèmes ne sont pas nouveaux. Il y a 35 ans je n’en ai pas voulu de ce si noble métier. Formation, pédagogie, programmes, nominations et mutations… le tableau était déjà très sombre. Cela ne s’est pas arrangé et franchement, il ne fallait pas être grand cler pour s’en douter ni jouer les Cassandre pour voir venir la catastrophe.

  12.  »L’urgence absolue, selon moi, est la formation des enseignants ? » Certes mais encore faut-il savoir  »formation à quoi  » . Car les  »pédagogistes » les inspecteurs d’académie diffusent une idée toxique de l’enseignement, de ses objectifs, de son contenu. Or les premières années de formation et d’orientation des élèves sont décisives. En fac c’est déjà trop tard : par exemple seulement 10% des étudiants en droit terminent leurs études…Un gâchis financier, psychologique et social. Et un effondrement de la France car le niveau moyen des jeunes (et donc des futurs citoyens) ne cesse de baisser. (un prof d’université effaré)

  13. L’on s’étonne que ce métier n’attire plus grand monde mais l’on ne fait rien pour rétablir l’ordre dans ces écoles ou les élèves sont indisciplinés , éffrontés , manquent de respect et j’en passe . Se faire insulter par des gamins , menacé par des parents , agressé , non merci .

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