[Une prof en France] Le désastre des spectacles de fin d’année

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Si vous êtes parent ou grand-parent, vous avez sûrement dû subir, au cours du mois de juin, le fameux spectacle que les écoles primaires s'évertuent à maintenir envers et contre tout. Moment de cohésion, dynamique autour d'un projet fort, expérience de groupe, temps de partage… c'est un incontournable de la fin d'année scolaire, une sorte de rite initiatique pour les parents qui doivent venir confirmer devant l'institution l'amour inconditionnel qu'ils portent à leur progéniture et leur adhésion aux valeurs de l'école, voire aux nouvelles valeurs de la République : inclusion, égalité, non-discrimination, écologie, ouverture sur le monde…

Que retient-on, cependant, en tant que spectateur ? L'indigence des chorégraphies, l'incapacité des enfants à les mémoriser, à se coordonner, à être simplement en rythme et la mièvrerie d'un propos convenu. En réalité, ce à quoi l'on assiste ne ressemble à rien, le plus souvent. Les enseignants ont-il déjà visionné un spectacle scolaire en Chine ou en Inde ? Des centaines d'enfants dans une cour d'école, tous en rythme comme le ballet de l'opéra, avec une précision et une exigence depuis longtemps oubliées chez nous. Car là est le problème : l'abandon de nos exigences vis-à-vis des « jeunes ». On ne leur rend pas service en s'extasiant devant tous leurs bafouillements et en ne leur apprenant pas les bases qui leur permettront d'être maîtres de leur corps et de former réellement un groupe cohérent.

Les spectacles sont aussi le miroir de notre société. Chez nous, il y a eu les incontournables chorégraphies devant sauver la planète, avec des enfants formant des cœurs avec leurs doigts pour dire combien ils aiment les océans et leurs poissons, celles à la gloire des arbres, avec les beaux sourires de nos petits écologistes solidaires et responsables et des éloges du cosmopolitisme humanitaire. Satisfaction générale : toutes les cases étaient cochées.

Puis, dans l'enceinte de cette école catholique, une classe entière de cours élémentaire a repris la danse de Mercredi, dans la série Netflix, série gothique mettant en scène la jeune Mercredi Addams et ayant rencontré un succès phénoménal auprès des jeunes Occidentaux. Imaginez donc, aux pieds de la statue de Marie, une estrade sur laquelle se trémoussent une trentaine d'enfants tous vêtus de noir, maquillés comme des croque-morts et mimant, en enchaînant des mouvements saccadés et chaotiques, la danse possédée de l'actrice de la série. Certaines jeunes filles avaient même poussé le professionnalisme jusqu'à commander la robe même portée par le personnage dans cette scène de bal devenue culte sur TikTok. L'école est à la page et on ne pourra pas la taxer de conservatisme désuet…

D'un autre côté, personne ne les écoutait ni ne les regardait vraiment. Le brouhaha était général, parmi les parents qui ne cessaient de bavarder avec leur voisin que quand la chair de leur chair montait sur scène.

Dans Les Choristes, film qui a obtenu le succès populaire qu'il méritait, on voit un professeur obtenir beaucoup de la part d'élèves au départ réfractaires à tout. Pourquoi ? Parce que, sans se départir de sa confiance et de sa bienveillance, il n'a pas renoncé à être exigeant avec ces enfants.

Méprisons-nous à ce point nos enfants que nous n'osions leur faire confiance et exiger d'eux une réelle qualité ? D'aucuns rétorqueront qu'en Chine, les enfants ne sont pas épanouis, alors que chez nous, ils sont sereins et heureux. Voire. Je ne sache pas que le taux de suicide, de dépression, de suivi psychologique, de consommation diverse de psychotropes ou de stupéfiants soit radicalement plus bas en France qu'ailleurs, et que notre jeunesse soit montrée en exemple pour son équilibre et sa joie de vivre. Alors, cessons de les ridiculiser en les exhibant dans des spectacles qui ne révèlent rien de leurs talents et apprenons-leur vraiment, sans complaisance, à produire des choses de qualité, celles qui demandent des efforts, de l'engagement et du travail.

Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

24 commentaires

  1. Bravo ! Tout à fait juste et diagnostic sans complaisance auquel on ne peut que souscrire. Sans aller jusqu’en Chine, mais seulement en Bulgarie ou en Roumanie, en Russie ou en Géorgie, j’ai vu des spectacles d’enfants de 8 à 10 ans, ou encore de 12 ans, dansant des danses folkloriques particulièrement compliquées dans un ensemble parfait, sans s’embrouiller les pieds ni les contrepieds, comme de véritables professionnels, bien loin des spectacles minables de nos enfants de France dont les parents se pâment d’admiration devant leur médiocrité alors qu’ils sont à peine capables de mettre un pas devant l’autre, hésitent sur la chorégraphie qu’on a tenté de leur apprendre et font des figures approximatives plus grotesques que méritoires. Il est temps en effet de réapprendre le goût de la rigueur et de l’effort pour in fine réaliser des spectacles méritant vraiment d’être applaudis.

  2. J’ai vu une vidéo de mes petits enfants qui ont fait une chorégraphie sur une chanson puis une autre un peu plus sportive j’ai trouvé cela charmant et spontané . Bien sûr il est tentant de faire passer les messages écologistes du moment tel que l’on voit à la télévision et à la publicité ( ce bourrage de crâne) bon ok ça leur passera avant que ça me reprenne le formatage n’a jamais eu prise sur mon éducation

  3. Merci de m’avoir permis d’avoir un petit moment de nostalgie. Mes enfants étant grands et ne sachant pas si j’aurais des petits-enfants au rythme où vont les choses, ces fêtes de fin d’année ont fait resurgir de beaux souvenirs. Eh oui, de belles chorégraphies que nous préparions tout au long de l’année pour que le spectacle soit de qualité. Ou de beaux chants… A l’époque (années 1960, dans une école publique), l’hymne à la joie était à la mode. Nous étions plusieurs classes sur scène à entonner les paroles sur cette belle musique. Les parents étaient assis devant la scène et appréciaient ce qui était un vrai spectacle. J’en garde un souvenir ému. AH, au fait, le directeur de l’école, qui ne s’en cachait pas dans cette école des beaux quartiers de Paris, était socialiste. Cela me rappelle les claques qu’il nous délivrait en cas d’incartade, ou les joues tirées, ou les « pattes » des cheveux,… sans compter les lignes qu’il nous fallait copier en cas de « faute »,… Ah, ah, ah, je n’en suis pas mort, ni ressorti traumatisé,… Quand on faisait une connerie, on savait que l’on risquait d’être puni !

    • Ah, qu’il est plaisant de lire un papier qui a du sens et devrait porter à réfléchir dans les académies… Mais je doute qu’en haut lieu on puisse comprendre, c’est trop vrai pour eux…

  4. Quelle déchéance ! Il me souvient des fêtes à l’école privée fréquentée par nos filles aînées ; à cette époque, cet établissement était dirigé par des soeurs de Saint Vincent de Paul ; quelques institutrices étaient des laïques, mais profondément chrétiennes ; chaque année, pour Noël le thème de la naissance du Christ était mis en scène très classiquement ; le jour de la fête de fin d’année, toutes les institutrices se réunissaient pour faire préparer, par tous les enfants, des saynètes sur un sujet commun ; les parents s’investissaient beaucoup dans la création de décors, couture de costumes… Dieu que c’était beau ! Puis nos bonnes soeurs sont parties à la retraite, laissant par la force des choses l’école entre les mains de laïques ; plus rien n’a été pareil, et les fêtes sont devenues des espèces de « kermesses » sans queue ni tête. Heureusement, nos aînées étaient parties au collège et au lycée, et notre benjamine a suivi sa scolarité dans une autre école.

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