[Une prof en France] L’école ne peut rattraper les carences du milieu d’origine

école

Ça y est, c'est la rentrée ! Si certains parents l'attendent avec impatience, il n'en va pas de même de la plupart des enfants. Pour les professeurs, c'est le temps des ultimes interrogations pédagogiques avant de plonger dans le grand bain : la question que se pose la majeure part d'entre eux est : « Comment vais-je réussir à faire progresser les élèves qui me seront confiés pendant un an ? » Je parle évidemment des professeurs consciencieux, qui restent une immense majorité, quoi qu'en pensent les professionnels du dénigrement professoral.

Le problème est que la situation devient de plus en plus complexe. Tout l'édifice scolaire, dans sa structure actuelle, repose sur une nécessité absolue : que l'enfant, assez rapidement, maîtrise de façon fluide et automatisée la lecture. On ne parle pas seulement de déchiffrage mais bien de lecture au sens plein, celle qui entraîne la compréhension de ce que l'on lit. Sans cette compétence fondamentale, rien n'est possible dans le système scolaire tel qu'il s'est développé depuis le XIXe siècle dans les pays dits développés.

Faites-les lire ! est le titre du dernier ouvrage de Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherche à l'INSERM, auteur des fameux TV Lobotomie et La Fabrique du crétin digital. On y trouve une somme de synthèses scientifiques faisant l'état des lieux de la lecture en France et dans le monde, et mettant à jour les liens qui unissent maîtrise de la langue et développement de tous les autres apprentissages intellectuels.

Toutes les études montrent la corrélation forte existant entre les capacités en lecture et la maîtrise du langage oral, incluant le volume du stock lexical. Alain Bentolila le claironne déjà depuis plus de vingt ans. Malheureusement, les choses ne font qu'empirer. Il appert que l'acquisition du stock nécessaire de vocabulaire relève quasi exclusivement de la responsabilité des familles et n'est que peu influencé par l'école, quelles que soient les stratégies qu'elle met en place. C'est donc là que le bât blesse… Écoutons Michel Desmurget : « La plupart des études montrent que le déploiement [du langage] dépend, in fine, assez peu du bain scolaire. Une série de recherches a comparé les performances lexicales d'élèves de maternelle, nés en novembre-décembre, et d'élèves de CP, nés en janvier-février. Tous les participants avaient donc le même âge moyen (à deux mois près) mais pas la même expérience scolaire (les CP étant en avance d'une année). Les résultats montrèrent que le niveau de vocabulaire ne dépendait pas de la durée de scolarisation. Autrement dit, un an d'école en plus n'avait pas significativement accru le répertoire lexical des enfants. Des résultats similaires ont été obtenus entre les moyenne et grande sections de maternelle, et entre le CP et le CE1. » Ce qui est réellement déterminant, c'est l'environnement familial : « À 36 mois, au moment d'entrer en maternelle, les enfants privilégiés affichent un lexique deux fois plus important que leurs homologues moins favorisés (1.100 mots, contre 500) […] Quand ils arrivent en maternelle, certains enfants ont entendu 35 millions de mots, d'autres seulement 10 millions. […] Ces différences sont colossales et, dans la quasi-totalité des cas, irrémédiables en raison de la nature cumulative du développement langagier. » Et il conclut : « En parlant à l'enfant et en lui lisant des histoires, les parents posent les fondations indispensables au déploiement ultérieur de la lecture mais aussi, plus généralement, des apprentissages scolaires, intellectuels, émotionnels et sociaux. En ce domaine, abstraction faite de quelques poissons volants statistiques, ce que le milieu originel abdique, ni l'école ni le temps ne le rattraperont. »

Voilà qui me console un peu par rapport aux cuisants échecs pédagogiques que j'ai subis, l'an dernier, avec certains de mes 3e, qui n'ont que très peu progressé malgré l'énergie folle que j'ai déployée, mais qui m'inquiète fortement pour l'avenir.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 03/09/2024 à 0:00.
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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

37 commentaires

  1. C’est pourtant la but initiale de la création de l’école gratuite et laïque en France, sortir les enfants de leurs milieux les plus pauvres et les moins évolués ! C’est bien pour raison que l’on créer l’Instruction Publique et l’Education Nationale ! Malheureusement la Gauche a tout fichu en l’air, par idéologie et dogmatique ! Puisque l’idéologie dominante est de mettre l’enfant au coeur du dispositif de l’instruction et de l’éducation ! Alors qu’il faut faire tout l’inverse, c’est à dire qu’il faut mettre le Maitre et le Professeur au coeur du dispositif de l’instruction et de l’éducation ! Hervé de Néoules !

  2. 1) Lire Robert Plomin sur le lien entre intelligence et ADN ( l’architecte invisible) pour battre en brèche le dogme de l’influence prépondérante, voire exclusive, du milieu familial et social sur la formation de l’intellect ;
    2) Effectivement, l’indigence neuronale et en matière de vocabulaire est générée dans les familles où le livre, voire revue, almanach, journal et même prospectus, est considéré comme un objet superflu et futile moins important que le poste télé, les casseroles, les placards à bouffe et le stock de PQ, et juste bon pour la cave, le grenier au mieux, surtout la poubelle (vécu en témoin : édifiant !). Le pire, quand ces gens là se permettent de vous asséner les leçons de vie « concrète », via un vocabulaire limité à 100 mots (« Maitre d’école=idiot; curé= idiot et violeur; voisins= idiots, surtout s’ils sont espagnols, portugais, italiens ou polonais ).Triste monde inconnu de beaucoup, je crois….

  3. Parfaitement d’accord avec l’influence familaile. On le constate avec les différences d’acquis énorme entre des petits arrivant en maternelle (vocabulaire, motricité, capacité à s’habiller, etc…) Mais je garde l’espoir que parmi des élèves vraiment peu favorisés, quelques cas parmi les plus intélligents découvrent la lecture et acquièrent par ce biais le vocabulaire qu’ils n’ont pas acquis à la maison.

  4. «  …ce que le milieu originel abdique, ni l’école ni le temps ne le rattraperont… »
    Soit. Toutefois, nous ne parlions qu’alsacien à la maison, n’étions abonnés qu’au journal en allemand et ne regardions que la TV allemande, mon grand-père ne comprenant que peu le français. On ne nous a jamais lu d’histoires et pourtant, très jeune, je dévorais tout ce que je trouvais, même les livres de mon grand-père lorsque j’avais épuisé mes propres lectures !
    Aucun d’entre nous n’a eu de difficulté à s’approprier notre belle langue, nous avons tous été diplômés et occupé des postes intéressants.
    En revanche, l’obligation de travail, d’assiduité et d’un comportement irréprochable à l’école étaient la règle.
    Ne serait-ce pas plutôt cette exigence qui a disparu dans de nombreuses familles ?

    • Vous devez également avoir un QI au dessus de la moyenne qui vous a permis de vous adapter. La connaissance d’une autre langue que le français à sûrement été un facteur stimulant !

      • Vous avez laché un gros mot, QI. Personne n’est choqué qu’en sport on sélectionne et on admette que certains ont des prédispositions physiques pour tel ou tel sport. Pour les disciplines intellectuelles, c’est pareil mais personne n’aborde la question des aptitudes (curiosité, mémoire, capacité de travail).

  5. tout a fait d’accord avec cet article, aujourd’hui dans la plupart des familles, seuls télé, tablettes, jeux, etc etc font l’unanimité, plus de discutions parents enfants, a part le classique chantage a l’argent de poche, rien qui améliore le développement intellectuel de l’enfant, quand j’étais en école primaire, dans les années 60, nous avions des lectures communes, un élève lisait une histoire courte, souvent d’un auteur très connu, et nous devions en suivant, faire une rédaction pour expliquer ce que nous avions compris. les résultats, étaient souvent hors sujet pour quelques élèves, ce qui sidéré l’instituteur. Ayant toujours gardé contact avec c’est instituteur, il me raconté qu’il était capable a cette époque, uniquement par l’élocution de l’élève, de savoir a plus de 90%, lequel réussirai ou pas dans la vie, que l’élève parte en 6ème, ou choisisse, par l’apprentissage un métier manuel, le résultat était identique. En conclusion les problèmes actuels sont très proches des problèmes d’autrefois, sauf qu’aujourd’hui rentrent en compte les téléphones tablettes jeux télé etc

  6. J’expliquais à mes élèves que nous construisions la maison du savoir. Certains auraient une grande maison, d’autres une petite, et l’on peut être plus heureux dans une belle petite maison que dans une grande de guingois .
    Les parents font les fondations et moi je leur apportais les briques du savoir qu’ils devaient mettre en place et bien cimenter.
    Mais si on n’a pas de bonnes fondations, la maison s’écroule. D’où l’importance des parents et de leurs fondations !

  7. Cela paraît tellement évident.. Je me souviens d’un instituteur, hussard de la République, communiste, dans un collège d’enseignement général, qui était particulièrement sévère avec les enfants dont il avait la charge en 1955 en CE2. Il enseignait à l’ancienne, et 100% des élèves avaient le certificat. Ils savaient lire, écrire, compter, calculer, disserter.
    Mais les familles, souvent d’origine italienne, espagnole ou portugaise, modestes, faisaient le reste.
    Je suis heureux d’avoir un petit fils de 7 ans, qui, lorsqu’il entend un mot nouveau, en demande systématiquement la signification. Les parents qui travaillent ne savent plus faire, n’ont pas le temps, ou mettent les loisirs avant l’éducation. C’est cela qui fabrique les inégalités dans notre société.

  8. Ce que j’ai toujours regretté, c’est que l’expression orale n’ait pas été suivie ;or, c’est combien nécessaire dans la vie. Ceux qui ne s’engagent pas dans des carrières scientifiques n’ont que faire des maths. et de plein d’autres matières qu’on s’empresse d’oublier. Mais l’expression et la culture,, c’est toujours bon, quelle que soit l’orientation.
    J’étais dans un lycée catho ;en troisième, le prof principal et de français , un prêtre, était un flamboyant… On allait à ses cours comme à un
    spectacle. Au programme il y avait Les
    Femmes savantes ;fallait le voir dans le rôle de
    Philaminthe..
    Ce que l’on doit à des profs comme ça est incommensurable.
    Pour ma part il m’a donné le goût de la littérature, et c’est grâce à la littérature que j’ai réussi le grand oral du concours determinant pour la suite de ma carrière.
    nécessaire

  9. Sauf cas exceptionnels, sauf aussi situations de sortie précoce et totale du milieu d’origine, ce constat de l’auteur est une vérité factuelle parfaitement avérée, fruit de l’expérience. Mais il ne faut pas la dire : c’est politiquement et idéologiquement incorrect.

  10. On ne construit pas un palais sur les fondations d’une masure, hélas! Bravo à l’autrice d’avoir déterré le verbe « apparoir » au présent de l’indicatif… un clin d’œil rassurant?

    • Jusqu’à il y a quelques mois le mot auteur était inclusif du féminin, lorsque j’étais enfant mes parents faisaient appel à la doctoresse, la mairesse dirigeait la commune , la cheftaine était le féminin de chef, … Bien souvent l’emploi par ceux qui la critique de cette « novlangue » est détestable.

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