[UNE PROF EN FRANCE] L’égalitarisme contre la méritocratie

Le parcours exemplaire de Léon Laulusa, directeur de l'ESCP, dont le premier mot appris en français fut « merci »
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Un soir, je papillonne sur les réseaux quand je tombe sur une petite vidéo publiée par Major Prépa, un site de conseils et d’informations autour des classes préparatoires économiques, suivi par plus de 40.000 personnes sur Instagram. L’extrait de conférence s’intitule « L’innovation naît de la connaissance du passé ». Si je souscris à l’essentiel des propos de l’intervenant, je suis abasourdie par les commentaires. Pour un commentaire de soutien, on lit cinq commentaires résolument opposés au système des classes préparatoires, à l’exigence de la formation qu’on y reçoit, au prétendu « formatage » que les élèves y subissent et qui tuerait toute créativité ; en somme, à la sélection d’une manière générale.

Il m’a sauté à l’esprit que la France ne s’était jamais vraiment remise des théories bourdieusiennes mal digérées, ou alors que la Révolution avait mis un temps assez long à finir son œuvre dans les mentalités, renforcée sporadiquement par les apports du marxisme et du gauchisme. On a du mal à soulever les pieds de la fange pour avancer…

Pourtant, l’intervenant ne disait rien de scandaleux : il rappelait que l’on ne crée pas à partir de rien mais à partir de ce dont on s’est nourri, et que la formation intellectuelle, comme la formation artistique, passait à un moment donné par l’imitation, l’imitation des Anciens, la compréhension de leur pensée à laquelle on vient frotter la nôtre pour lui donner de la consistance et du corps. Cela m’a fait penser à la pièce Rouge, de Logan, dans laquelle le peintre Rothko rabroue un jeune homme désireux de se former auprès de lui en tant qu’assistant, en lui assenant que pour peindre quelque chose d’intéressant, de nouveau, qui soit vraiment original et personnel, il devra d’abord lire Nietzsche et les tragiques grecs.

Mais la pensée égalitariste qui prévaut, dans une part importante de la population, nous enjoint de « venir comme nous sommes », de puiser seulement au fond de nous-mêmes, comme si la richesse propre de notre nature suffisait, alors que la culture occidentale a toujours valorisé avant tout le travail, et la transformation de l’homme par ce travail, discipliné, constant, assidu.

La curiosité m’a prise de me renseigner sur celui qui organisait le cycle de conférences dont ces propos étaient extraits. Il s’agit de Léon Laulusa, le directeur de l’ESCP Business School. Son parcours est caractéristique d’une époque qui semble malheureusement révolue, en raison du changement de paradigme qu’a subi notre système scolaire, malgré quelques résistances. Ses parents ont fui le Laos en 1976 et se sont installés en France. Lui avait 8 ans. « Alors qu’ils étaient entrepreneurs au Laos, mes parents deviennent ouvriers. Mon père est d’abord ouvrier technique chez Renault, puis gardien de nuit, et ma mère travaille chez General Motors puis Suchard. » Léon Laulusa se déclare « reconnaissant à la France et à l’école républicaine ». Ne connaissant du français, à son arrivée, que le mot « merci », Léon Laulusa s’acclimate et, par un travail acharné, se hisse rapidement en tête de classe. Pendant les vacances et les week-ends, dès qu’il a l’âge d’aider sa famille, il ne reste pas oisif : son premier emploi estival est dans une usine de nettoyage de nappes de restaurant. Au lycée, on ne le juge pas capable d’aller en classe préparatoire : « Ma moyenne était bonne, mais pas excellente, à force de faire de petits boulots le week-end. » Il va donc à l’université, où il va multiplier les diplômes, jusqu’à une thèse à Paris Dauphine et une HDR (habilitation à diriger des recherches) qui lui ouvrira les portes de l’enseignement, sous forme de vacations à HEC puis à l’ESCP, dont il va maintenant prendre la direction (sources : blog.headway).

Est-ce l’école qui ne croit plus en la méritocratie et qui empêche l’ascenseur de monter ? Est-ce l’origine de ce monsieur qui a été décisive, comme elle semble l’être pour tant de jeunes qui tiennent les murs de leur immeuble au lieu de travailler de quelque façon que ce soit ? On admire ce genre de parcours et, dans le même temps, on sabote tous les leviers qui les rendent possibles.

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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

25 commentaires

  1. Ils peuvent l’appeler Prepa ou comme ils veulent, ce qui est important c’est de travailler et de reflêchir, or les étudiants ne font ni l’un ni l’autre , ils détruisent afin que leur nullité ne se voit pas. Ils empéchent ceux qui veulent bien faire de travailler.Et le pire c’est que les enseignants imbus de leur mediocrité les soutiennent.

  2. Bravo ,
    ca fait du bien d’entendre des réussites , parcours individuel , basé sur l’effort , le travail , la méritocratie .
    c’est rassurant mais en méme temps inquiétant car peu d’exemple du méme genre , sauf erreur .
    Il y a eu les  » 30 glorieuses  » maintenant  » les 30 paresseuses  » , what’s next ?

  3. Les boat people arrivés en France il y a 50 ans se sont très bien intégrés, voire plus, comme le montre la réussite de M. Laulusa ! Mais le niveau de culture générale français continue de baisser, ce qui nous est dommageable, même dans les grandes écoles !

  4. Bonjour Virginie. Comment ne pas souscrire à l’ensemble de vos raisonnements ? Toujours heureuse dans le choix de vos chroniques. Quel vaste sujet ! Par quel bout l’aborder ? Retenons en priorité l’évolution du jeune puis de l’Homme Léon Laulusa. Ce garçon a foulé le sol français accompagné de deux soutiens essentiels, totalement délaissés par le système français. L’état d’esprit, en priorité, qui lui vient de ses parents. Dans ses premiers pas sur notre sol, il a été soutenu par ses facultés que sont le courage, la persévérance, l’abnégation , l’assiduité et la valeur de l’exemplarité, deuxième soutien.
    Pour en venir à cette exception française totalement hors sol, la volonté d’ignorer le passé, de faire table rase. Ce qui conduit à des esprits contrariés, « p’être ben qu’oui, p’être ben qu’non », Macron le parfait illustrateur, un danseur d’un pied sur l’autre. Par exemple, ils prétendent ignorer le passé mais font continuellement appel au fascisme, en réalité à ce qui, du passé, soutient leurs thèses déjantées. Allez comprendre leur logique. Je m’égare. Votre première phrase m’a rappelé la nécessité du travail en équipe. Vous consultez des sites éducatifs. Je consulte des sites scientifiques. Rassemblés dans une équipe projet, nous apportons nos savoirs, enrichissons les débats, le projet avance à grands pas. Tous les enseignants sont-ils conscients de cette approche indispensable au progrès ? Je saute du coq à l’âne. Macron prétend remplacer des vitraux posés par Viollet-Le-Duc par ses vitraux modernes. Pourquoi cet exemple ? Il est représentatif des conséquences des formes données à l’enseignement dans les grandes écoles. On y privilégie la performance individuelle au détriment du collectif. Un exemple caractéristique, les dernières manifs de Sciences Po. La direction a laissé faire une minorité au détriment du collectif. Alors qu’il aurait été sain d’extraire la minorité pour le bienfait de la majorité. Mais voilà, voilà, il faut du courage, de pas craindre le pas de vague et peut-être mettre sa carrière en difficultés au bénéfice de la France. Ce n’est plus dans l’air du temps. Pour en venir au cœur de votre sujet : « L’innovation naît de la connaissance du passé ». Toute personne de bon sens admet cette affirmation. Un simple exemple. L’apprentissage de la musique se fait dans une approche B.A.BA. Mais dès que l’essentiel est acquis, le solfège, la connaissance de l’instrument, le dégel du doigté, l’enseignant entre dans le vif du sujet. Il fait appel à ses acquis pour les transmettre. En la matière, bien souvent, des acquis immatériels qui font appel à l’âme, au cœur du maître, à son vécu. Ainsi, en appui sur de la consistance connue, l’élève progresse et apporte à son tour les plus de sa personnalité. Mais l’air du temps est dans le déni. Reconnaître que certaines vérités incontournables s’imposent à certaines idéologies hors sol semble une difficulté majeure pour certains. Ce déni augmenté perturbe l’ensemble de l’évolution sociale de la France. Mais peu satisfaire certains, dont le premier de cordée sujet de cette philosophie. Bon… Virginie je dois cesser. Dommage, tant d’idées à exploiter. Le beau temps revient, profitez-en . Bonne semaine et bon courage.

  5. N’oublions pas que cette personne fait partie d’une immigration qui s’est toujours parfaitement intégrée sans aucun ressentiment d’ailleurs avec l’ancien colonisateur
    J’en connais dans mon entourage proche, la raison en est simple : Ils sont élevés par leurs parents dans le souci de l’ordre, de la famille et du travail bien fait

  6. La prépa est nécessaire parce que le bac distribué aux élèves est d’un niveau tellement bas qu’il faut à un moment rattraper le retard pour former des cadres qui tiennent à peu près la route. Dans ces grandes écoles de commerce les étrangers sont pris sur dossier pas besoin de prépa parce que le niveau est plus élevé, enfin la sélection est quand même sérieuse je crois 6 pour 1000 à l’ESSEC

  7. La lutte des facs contre les prépas est déjà ancienne. Il s’agit de récupérer les crédits qui leur sont alloués, et l’égalitarisme est le faux-nez idéologique de ce projet. La plongée vertigineuse de la France en matière d’éducation est un détail…

    • Absolument ; excepté (peut-être) en médecine, la fac est un ramassis de glandouilleurs cancres. Les bons élèves, travailleurs, assidus, et bien câblés vont en prépas (ou direct en grandes écoles sur concours, ce qui était le cas naguères -années 60/70-de sciences po avant qu’ils ne le gangrènent). Les autres sont des jaloux frustrés sournois.

  8. Jacques Martin est responsable de tout cela. Son émission de l’époque, « l’école des fans » a donné de mauvaises idées à la gauche, qui a décidé de la mettre en pratique dans l’éducation nationale en donnant le bac à 90% des élèves. Or… 90% de la population française n’a pas du tout le niveau pour faire des études supérieures. C’est particulièrement injuste mais c’est la réalité. Et ce n’est pas parce que l’on vous donne un diplôme que vous avez les capacités requises par ce diplôme. Je ne sais pas où j’avais lu ces temps-ci qu’en sport, on privilégiait la performance, et c’est pour cela que l’équipe de France de football était en majorité noire. En économie, apparemment, dans un monde socialowoke, on ne privilégie pas la performance. Gravissime erreur. Donc n’importe qui peut être architecte, construire des ponts qui s’écrouleront à peine construits, des trains qui tomberont en panne, des machines qui ne dureront pas. Il faut vraiment virer cette chienlit pseudo progressiste qui emporte la France vers le tiers monde (en en accueillant une bonne partie par ailleurs). Nous sommes en compétition directe avec l’Asie, et avec un peu de chance, Trump interdira l’accès aux chercheurs étrangers aux Etats Unis ce qui fait que les universités américaines peuplées en bonne partie d’indiens et de chinois qu’il va renvoyer, tomberont eux aussi dans le tiers monde.

    • Ah ah, Je rigole ! J’en ai connu, des architectes des bozards comme ça : ils se sont reconvertis dans…l’enseignement (ou le « consulting », nouveau truc à la mode qui ne veut rien dire mais qui profite bien..)

  9. Et on pourrait ajouter que le culte de l’hommard, avec ses droits, comme si les droits n’allaient pas sans devoirs, l’accomplissement préalable de ceux-ci conditionnant l’exercice de ceux-là, n’arrange rien. Et pour l’enfant, l’élève, ça commence par  » faire ses devoirs » en rentrant de l’école. Ah, j’oubliais, en principe il ne doit plus y avoir de travail scolaire en rentrant le soir à la maison. Belle préparation aux prépas …

  10. Chapeau bas, Monsieur Laulusa,
    Vous êtes l’archétype que la « gôôôche » abhorre. Vous venez de loin (Le Laos, pensez donc, que vos parents ont fui), vous avez travaillé d’arrache-pied, vous vous êtes hissé, par la méritocratie à une place plus qu’enviable. Vous cochez toutes les mauvaises cases que le système d’enseignement Francais, gangréné par des nuisibles fainéants et politisés tirent irrémédiablement vers l’ignorance crasse.

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