[Une prof en France] Miroir, mon beau miroir…
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Virginie F. est professeur agrégée de lettres dans un collège du sud de la France. Toutes les semaines, elle livre aux lecteurs de BV son quotidien édifiant, tragique, inimaginable pour ceux qui n'y sont pas plongés. La semaine dernière, nous avons publié le premier épisode de ce récit. Voici le second.
Avec mes 4e, nous avons travaillé sur le portrait. Tout avait été revu en classe : des fiches de vocabulaire avaient été distribuées, lues, et travaillées ; ce vocabulaire avait été noté dans un répertoire et donné à apprendre ; on avait détaillé les codes du portrait, sa structure et ses objectifs ; enfin, le terrain avait été préparé. Savoir décrire quelqu'un est une compétence essentielle. Cela n'a rien de « littéraire » et relève de la vie courante. J'avais même fait le lien avec les séries policières que les élèves affectionnent, dans lesquelles les témoins doivent pouvoir décrire les suspects potentiels qu'ils ont croisés. Il ne restait qu'à se lancer. Le texte de référence était la nouvelle de Villiers de L'Isle-Adam intitulée Véra.
À ces futurs citoyens de 13 ans, j'ai alors demandé de faire le portrait d'une jeune femme, un portrait physique et moral qui justifierait qu'un homme fût éperdument amoureux d'elle, au point de refuser d'accepter sa mort. Ils ont commencé en classe. Objectif : 15 lignes. Soyons modestes… Cela reste bien plus long que ce qu'ils écrivent sur Snap. En une demi-heure, seuls quelques élèves furent en mesure d'écrire un embryon de texte. Les autres restaient bloqués, incapables de produire la moindre phrase, malgré mon passage de table en table pour leur donner des indications et les aider à se lancer. La séance se terminant, je leur donnai le portrait à terminer chez eux. Voici ce que je reçus une semaine après :
« Véra été une femme très admiratrice. Elle aver les yeux gris avec des cheveux couleur noisette, elle aver une bouche parfaite, sont métier étes peintre elle avait plus de famille. Elle étes née en 1996 et morte en 2022. Elle est morte a cause d'une maladie rare Qui sajit de perdre toute sa mémoire est quelle se souvien que des souvenir affre avec de l'envi de sasassiner. »
Un autre : « C'était une personne formidable ; elle me faisait rire tous les jours même quand j'allais mal, elle me faisait rigoler. Elle était joyeuse tout le temps avec toutes les personnes sauf une seule personne que Véra détestait. Un jour cette personne désida de tuer Véra dans son sommeil et du coup Véra mourrat. Elle était très gentil avec tout le monde (sauf une personne). Elle était très joyeuse. Elle était très rigolo. »
Leur camarade : « Véra est une femme très gentille et très calme. Elle a énormément d'affection pour les animaux. Véra est malheureusement décedée d'un accident de carrose cela fut une nouvelle qui détruisa le village car sa beauté était la même qu'une étoile filante. Depuis ce jour chaque année une cérémonie est organisé pour rendre homage a cette femme à beauté inoubliable. »
Vous imaginez ma stupeur à la lecture de ces travaux… Ils ont 13 ans et ont, depuis dix ans, passé plus de 850 heures par an en classe, soit plus de 8.500 heures d'enseignement, et on en est là. Quelle autre structure supporterait un échec aussi massif, aussi flagrant, aussi scandaleux ? Quel professeur de tennis accepterait qu'au bout de 8.500 heures, son élève ne sache toujours pas renvoyer une balle correctement ? Quel instructeur d'auto-école accepterait qu'au bout de 8.500 heures de conduite, on ne sache toujours pas démarrer ni faire un créneau ? Quel directeur de supermarché accepterait qu'au bout de 8.500 heures, une caissière ne sache toujours pas tenir sa caisse correctement ? Mais notre administration n'a de cesse de nous expliquer que le niveau ne baisse pas et que seuls les vieux réacs de mauvaise foi affirment le contraire. Pour autant, elle entérine cet effondrement du niveau d'expression et de compréhension des élèves en inscrivant au programme de grammaire de la classe de seconde, j'ai bien dit de seconde, l'accord sujet-verbe. Un élève peut donc arriver en seconde sans savoir qu'un verbe s'accorde avec son sujet ?
Cela ne nous empêche pas de leur proposer de réfléchir, en 5e, au « sentiment d'appartenance au destin commun de l'humanité » ou de répondre, en 4e, à la question : « Comment nourrir une humanité en croissance démographique et aux besoins alimentaires accrus ? » Pour sûr, ils vont trouver la réponse… du moment qu'on ne leur demande pas de faire des phrases pour la formuler.
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87 commentaires
Dans mon Collège provincial la classe de Première s’appelait Rhétorique ; la Terminale , Philosophie . En Seconde on apprenait à versifier , ce que certains élèves faisaient en rêvant de François Villon , en 1953.
J’ajoute à mon précédent commentaire, qu’effectivement, ma fille qui est en 5ème n’a jamais reçu l’enseignement du passé simple ni du subjonctif, compétences que l’on m’a enseignées en CE2. Avoir ainsi refusé de transmettre ces compétences élémentaires est juste honteux.
Ce qui me pose question, au delà de ce constat effectivement catastrophique, c’est qu’on présente cette situation comme une honte pour cette jeune génération. Cela relève pourtant de la responsabilité totale de la génération précédente, celle qui est au pouvoir actuellement et depuis les années 80 et qui a refusé de transmettre aux suivants ce qu’elle-même avait reçu de ses propres anciens. Au lieu de pointer du doigt ces « jeunes » (comme je déteste ce terme !) à qui on a donné, il faut bien le dire, de la m…, regardons la responsabilité des anciens qui sont toujours malheureusement bien prompts à critiquer et se moquer des plus jeunes.
impensable de voir ça, encore quelque temps, et ils écriront façon SMS , mais quand ils arriveront en période d’embauche, il faudra qu’ils prennent des cours d’orthographe , c’est ce qu’il se passe déjà !
pas seulement des cours d’orthographe, mais également de compréhension, car visiblement ils ne comprennent pas ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils écrivent !!
Alors oui on doit pointer du doigt les responsables de cet état de fait que sont les soit disant » pédagogues » qui ont détruit les fondements même de la transmission des savoirs mais également les familles qu’elles soient complètes, recomposés ou monoparentales qui ne prennent plus le temps même de partager un repas avec leur progéniture, trop occupé ailleurs ( Iphone etc… ) –
+++
Bonjour Madame,
Merci pour ce constat étourdissant et abyssal, le plus triste, que deviendra ce citoyen au final, comment sera-t-il en capacité de comprendre ( LE SYSTEME ) ?
Et en plus, la fleur au fusil, il devrait être en capacité de voter ! La Dictature approcherait-elle à grand pas ?
Mais , au fait, comment votait-on avant Jules Ferry ?
Les Héros du quotidien s’ignorent jusqu’à la pierre tombale…
Bon courage à vous.
On n’apprend plus la grammaire et lorsqu’on apprend une langue étrangère c’est le drame parce qu’on s’imagine que le bébé qui est en immersion continue n’en a pas besoin donc l’êlève non plus. Or l’apprentissage d’une langue a partir d’une autre nécessite d’autres lois faites de comparatifs. On ne fait plus de dictées on n’apprend plus rien par cœur on ignore les réglés de base on ne fait plus d’explications de texte alors on ne comprend plus les classiques et le vocabulaire est pauvre.
.l’enfant de mme Dolto et consort sait tout en naissant il faut le laisser s’êpanouïr mais c’est en fait une plante sauvage qui a besoin d’un tuteur , il a besoin de règles, besoin de limites. La société actuelle en manque cruellement et nous n’avons pas fini de le payer cher.
« Avec mes 4e, nous avons travaillé sur le portrait » : voilà une belle phrase d’agrégée de lettres. De lettres « modernes » sans doute ! ?
40 ans que tout se combine pour nous conduire sur la voie du sous-développement. Ça commence à vraiment se voir.
Les futures forces vives, de moins en moins nombreuses, s’expatrient. Que demeure-t-il ? Nous le savons.
Nous n’inverserons jamais le processus; c’est trop tard.
« Les élèves affectionnent les séries policières, dans lesquelles les témoins doivent pouvoir décrire les suspects potentiels qu’ils ont croisés ». Nous pensons que le sujet était mal présenté ; il fallait aller au plus simple, présenter la photo d’un homme suspect : « Décrivez cet individu qui a déjà un lourd passé. Que ressentez-vous en l’observant attentivement ».
Voici la rédaction d’un élève, Léo en 5°6.
« Cet homme paraît assez anodin au premier regard, mais en poursuivant l’observation, on s’aperçoit que ses yeux sont en fait vides et cependant brillent d’une certaine lueur inquiétante. Il met mal à l’aise, car tout semble faux chez lui, ses lèvres s’étirent en un drôle de rictus ricaneur. J’ai montré l’image à ma petite sœur, Zoé, qui s’est mise aussitôt à crier et à pleurer sans raison véritable. Papa, lui, d’habitude plutôt calme, a eu une réaction assez inattendue, il s’est mis à me crier dessus « Où as-tu eu cette photo ? ». À tout hasard, je me suis mis à pleurer ; les larmes, ça désarçonne et ça attire toujours la sympathie. Maman est venue à mon secours ; elle a dit à papa « calme-toi donc, tu vois bien que le petit ne sait pas qui c’est… Tu as trouvé cette photo dans une poubelle, hein, Léo ? » ; j’ai fortement secoué la tête de haut en bas. « Tu vois ! » a dit maman triomphante à papa.
Quand celui-ci est allé faire la sieste, maman qui est une fine mouche, m’a interrogé pour en savoir plus. J’ai fini par lui dire que c’était pour un devoir à l’école. Je n’aurai peut-être pas dû cracher le morceau, parce que le lendemain maman est allé engueuler la professeur, des trucs du genre comme quoi la prof allait traumatiser à vie des enfants. »
En nous rendant les copies, la main de Mme Gaston (la prof) tremblait un peu. Les élèves lui demandèrent qui était donc l’homme sur la photo. Mme Gaston nous dit que c’était un financier, condamné pour faux et usages de faux, et de multiples infractions à la morale, un certain E M. Elle ne nous a donné que les initiales, disant que c’était un homme sans importance dans l’histoire de la France.
Quoi qu’il en soit, je suis très fier d’avoir eu la meilleure note. Madame Gaston m’a simplement dit avec un sourire un peu crispé que la prochaine fois, il ne fallait pas montrer mon devoir à mes parents dans l’espoir de me faire aider… ni à ma petite sœur.
Très bon
13 ans .. C’est gravissime ; et dans l’imagination, et dans la logique, et, évidemment , dans l’orthographe et la grammaire. J’ai crû essayer de déchiffrer (non pas lire) la nièce de ma belle-mère, gravement handicapée de naissance qui n’a jamais pû fréquenter l’école sauf un trimestre par ci par là entre 2 opérations de la maladie bleue
Bonsoir. Je suis moi-même enseignant et je constate comme vous un effondrement du niveau. Les causes sont multiples :
* Effondrement de l’autorité de l’enseignant qui n’est plus respecté par les élèves et parfois par les parents
* Massification du secondaire : si le BAC (général + techo + pro) est octroyé à 80 ou 90 % de la population d’une tranche d’âge, alors ceux qui mènent à ce diplôme (càd les enseignants) perdent en prestige
* Manque de formation des professeurs : enseigner est un métier qui s’apprend, le coeur du métier est la pédagogie. Certains pays investissent beaucoup dans la formation initiale et continue (exemple : Singapore). Nous n’avons rien de tel en France
* Faible rémunération des enseignants : le métier tend à devenir alimentaire et les métiers alimentaires attirent les gens qui ont besoin de s’alimenter. Pourquoi devenir professeur si à Bac + 5 on peut accéder à des métiers bien mieux rémunérés ? D’ailleurs cela explique en partie la pénurie d’enseignants. L’Etat est un très mauvais employeur, le personnel hospitalier ou encore la police peuvent en témoigner. Si l’inflation venait à durer comme celle des années 1970, alors les professeurs seront déclassés dans 20 ans et une partie d’entre eux (je pense aux professeurs des écoles) basculeront carrément dans la pauvreté.
* Les écrans : écrans et réseaux sociaux sont devenus un écosystème dans lequel les enfants grandissent. Il en sort une moindre intelligence et un moindre appétence pour le travail écrit.
* Manque d’autonomie des établissements : un chef d’établissement ne recrute pas ses enseignants, la chose est ahurissante.
* ….. La structure de l’Education Nationale. On arrive ici au problème principal : nous avons en France une structure éducative jacobine, dense, pyramidale et dont une partie de l’administration a été cannibalisée par la bureaucratie. Ce type de structure centralisé est peu propice aux innovations et aux remises en cause. Ici on pointe du doigt un problème typiquement français.
Je ne crois pas en une inversion de la tendance. Le privé gagnera du terrain et la baisse des niveaux se poursuivra.
Je suis moi-même enseignant et je crois qu’il faut ajouter deux autres causes :
– la non valorisation de l’esprit d’effort et du travail bien fait qui sont masqués par des méthodes qui s’appuient sur la spontanéité ;
– l’ouverture du collège à TOUS.
La pauvre mais fort heureusement il reste des écoles ou les profs ne perdent pas leur temps et les élèves ont un bon niveau .Pourvu que ça dure .
Après avoir lu les trois textes d’élèves, je comprends pourquoi le « Club des Cinq » a été réécrit en abandonnant l’usage du passé simple. Ce temps n’était bien sûr pas employé dans une conversation normale lorsque j’étais élèves de l’école primaire, au début des années 60, mais nous le maitrisions.
Je corrige en remplaçant « élèves » au pluriel par « élève » bien sûr au singulier.
Quand on pense que le système de répartition pour le paiement des retraites est basé sur les nouvelles générations, il y a de quoi s’interroger sur sa pertinence. Cette volonté de nivellement par le bas est orchestrée depuis longtemps car un peuple qui pense est dangereux pour un pouvoir d’incompétents. Mais il est malheureusement facile d’observer que ceux qui avaient bénéficié d’un enseignement de qualité ont réussi à se faire manipuler pour être gouvernés par la médiocrité. C’est donc qu’il y a autre chose qui manque et que Peguy et Maurras ont très bien analysé.
++++
On n’apprend plus ni la grammaire ni la conjugaison à l’école primaire. Tous ces ignorants sont embarqués automatiquement dans l’enseignement secondaire sans aucun redoublement ni barrage. Les professeurs des écoles ne se fixent aucun objectif à atteindre.
C’est effrayant ! Même mes grands-parents, nés respectivement en 1897 et 1899, savaient lire, écrire et compter, et avaient obtenu leur certificat d’études