[Une prof en France] Monte-Cristo : la Toile contre le livre

Capture d'écran bande-annonce
Capture d'écran bande-annonce

Avec près de 4 millions d'entrées, Le Comte de Monte-Cristo est l'un des succès cinématographiques de l'année 2024. Les journaux ne tarissent pas d'éloges devant ce film qui aurait multiplié par 4 les ventes du roman d'Alexandre Dumas, promu meilleur scénariste de l'année, si l'on en croit tous les papiers qui présentent le film comme une mise en images du roman. Un article paru dans Marie Claire au début du mois titre même « L'incroyable histoire vraie qui a inspiré Le Comte de Monte-Cristo à Alexandre Dumas » et illustre son propos par une photo du film. Accrocheur.

Pour autant, il y a loin du roman au scénario du film... On ne peut même plus parler d'adaptation, tant l'intrigue a été simplifiée et, surtout, profondément modifiée, rendant le propos nettement différent, tant dans son fond que dans ses enjeux et implications psychologiques, morales et religieuses. On annonce 35.000 ventes du tome 1 du roman depuis la sortie du film, et 27.000 ventes du tome 2. Force est de constater que les lecteurs ne semblent pas empressés de connaître le vrai dénouement de l'histoire, puisque près d'un tiers d'entre eux ne vont pas jusqu'au tome 2... Mais, surtout, 35.000 par rapport à 4 millions, cela fait une grande différence. On peut donc craindre que l'intrigue imaginée par La Patellière et Delaporte n'en vienne à remplacer, dans l'imaginaire collectif et donc dans ce que l'on pourrait appeler la culture générale, la véritable histoire brillamment élaborée et racontée avec virtuosité par Alexandre Dumas.

Car la culture générale, est-ce le vrai ou ce que croit la majeure partie de la population, et qui forme ainsi leur socle commun de références ? « Un mensonge répété 1.000 fois devient une vérité », nous dit un proverbe tchèque (Dictionnaire des proverbes tchèques, 1909 - la phrase n'est donc ni de Goebbels ni d'Hitler, contrairement à ce que disent des dizaines d'articles publiés sur Internet… CQFD) : il y a fort à parier que dans la future culture générale française, Haydée ne reste à jamais la femme d'Albert de Morcerf. Doutes, remords et repentir ont assez largement disparu mais ont été remplacés par de belles images et de somptueux costumes, qui s'inscriront peut-être progressivement dans l'esprit des gens, comme le mythe Galilée ou la prétendue persécution des sorcières au Moyen Âge.

Cela amène une réflexion sur la transmission de la « culture générale ». Un rapport, fruit de quatre ans de travail, a été publié au début du mois de juillet par l'Académie des sciences morales et politiques : « La culture générale aujourd'hui. Que doit (encore) savoir "l'honnête humain" au XXIe siècle ? » On se régalera de l'honnête homme devenu honnête humain. Sans commentaire. On y lit que les trois quarts des 18-34 ans pensent que les Français savent moins de choses qu'il y a 50 ans (malgré le développement d'Internet et un accès bien plus ouvert à la culture) et que plus de 60 % des moins de 25 ans ont ressenti de la honte en raison de leur inculture, dans le cadre professionnel ou amical. La solution, pour remédier à cela ? Encore et toujours l'école. Mais si 80 % des instituteurs et près de 90 % des professeurs du secondaire trouvent l'enseignement de la culture générale essentiel, moins de 20 % le font en classe en primaire et moins de 30 % en collège (sondage Léa.fr 2023 relayé par le rapport de l'Académie). D'un autre côté, seuls 35 % des enseignants du primaire et 47 % des enseignants du secondaire considèrent avoir un niveau de culture G élevé. Ceci explique peut-être cela…

Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

22 commentaires

  1. La meilleure adaptation cinématographique, et la plus fidèle au roman, est la série avec Jacques Weber dans le rôle-titre, de Denys de la Patellière. Rien à voir avec la version de Josée Dayan avec Depardieu, où tout est raté : scénario indigeste, acteurs trop vieux et peu crédibles, même le grand Rochefort dans le rôle du comte de Morcerf. Georges Moustaki joue Faria, et a l’air de sortir de son brushing. La fin est ridicule, singeant une bluette de type « Lagon Bleu ». Depardieu est nul comme d’habitude, seul son fils Guillaume s’en tire dans le rôle du jeune Dantès. Ayant apprécié, malgré leurs approximations, les versions avec Jean Marais, Louis Jourdan et Pierre-Richard Wilm, je n’irai pas voir celle de Pierre Niney, dont le scénario a l’air très différent du roman (Hayde épousant le fils Morcerf !…). Vive Dumas et vive Weber !

  2. Bonjour Virginie. Vous êtes en forme, votre texte en témoigne. D’une richesse qui ouvre l’esprit à de multiples commentaires. Nous devons sélectionner ou nous maintenir en brièvetés. « Intrigue profondément modifiée » . Notre confiance vous est acquise. Je ne regarde plus les productions françaises . Vous justifiez ma position. Les réalisateurs et affiliés ne travaillent plus pour la transmission d’une culture générale. Ils ont deux objectifs : manipuler les esprits pour la satisfaction de leur idéologie et extérioriser leur « moi » , la partie émergente de leur individualisme forcené. Un courant dans l’air du temps. Ainsi ils en viennent à déformer les originaux, à les tordre jusqu’à ce qu’ils expriment les attendus, notamment un soutien de la lignée LGBTOQ… des trans et drag queens, des sujets toujours sous-jacents. Il suffit de lire entre les images. Autre approche. « … la culture générale, est-ce le vrai ou ce que croit la majeure partie de la population… » . J’ajouterais,  » ou ce que vers quoi la bien-pensance veut conduire les français ». Delphine Ernotte est très claire sur le sujet. Le sens de sa déclaration « nous conduisons la France là où nous voulons la mener ». Sans « moi » c’est le désert. Ses réalisateurs sont et se tiennent obligatoirement dans cette lignée sous effets du chantage exercé par cette direction. Autre approche : « les trois quarts des 18-34 ans pensent que les Français savent moins de choses qu’il y a 50 ans (malgré le développement d’Internet et un accès bien plus ouvert à la culture)  » . Et pour cause : les français sont dans la « brièveté ». « Les brêves » disent-ils, si je ne me trompe pas. Tous les français ont emboité le pas. Jusqu’à nous apprendre à maîtriser « la lecture rapide ». Le smartphone prédispose à ces minimas. Je vis la situation. En relation avec une interlocutrice, je me répands sur des pages, le micro-ordinateur facilite. En réponse d’un iphone : deux lignes. Du bref face à du généreux (….ce que je veux croire). Toujours est-il que l’on se situe dans cette lignée du « bref ». Comment se former, s’éduquer , s’enrichir, tenir un échange constructif , construire une solide relation avec du bref ? Nous devons nous soumettre à la synthèse, oui, mais avec autant de brièveté ? Un dernier mot et je vous libère. L’Education Nationale peut beaucoup pour le développement de la culture générale, à deux conditions : être motivante même quand le sujet rebute l’élève. Je ne développerai pas la troisième : rester neutre, ne pas manipuler. Difficile avec des syndicats qui talonnent. Voilà, voilà Virginie. Vous n’aurez pas à supporter des pages …. Bonnes et heureuses vacances. Il fait beau …

  3. Le fait n’est pas nouveau. il y a bien longtemps que le cinéma a remplacé le roman ou même l’histoire dans la culture des hommes. Un autre exemple: la deuxième guerre mondiale et le succès des américains qui a replacé celui des soviétiques.

  4. J’ai re-re-relu l’œuvre originale il y a environ 6 mois pour le plaisir ne sachant pas qu’une enieme version cinématographique allait sortir. Je me suis régalé, car ce livre est un écran géant de cinéma merveilleux. Hier soir ma femme m’a dit et si on allait voir le film. Bien installé au milieux d’un gars qui mangeait, un autre qui empestait la transpiration et une autre qui a passé des sms en permanence, j’ai donc vu la dernière adaptation du comte de MC. C’est long, c’est normal, mais tellement éloigné de la version de Dumas. Tout ce patchwork de scènes dans ce château surréaliste m’a déçu fortement et m’a conforté dans mon choix de toujours lire l’original avant d’aller voir une adaptation au cinéma.

  5. Pour ma part j’ai trouvé le film assez fidèle à l’esprit du livre, en particulier sur la question de la vengeance et des malheurs connexes qu’elle entraîne. Qui plus est ce n’est pas un film américain. Pas d’anachronisme sur l’origine géographique des personnages. Sauf Mercedes qui n’est pas méditerranéenne, rien d’une catalane. Reste le personnage féminin inventé. Il permet de simplifier l’intrigue en supprimant le père de Villefort et par là tout le passage sur les empoisonnement etc…bon film. Même si j’ai eu du mal à y « entrer ».

  6. Le niveau de culture générale en France s’est effondré depuis des années , sous l’avalanche migratoire , il ne fallait pas contrarier les nouveaux venus , et les enseignants furent recrutés parmi ces incultes , le nivellement par le bas a fait des ravages .
    Et puis on est passé de la lecture , exigeante , pendant des heures d’oeuvres gigantesques , au cinéma et à la télévision qui contractent l’information et la culture , et enfin aux messages échangés avec des téléphones portables qui la réduit aux grognements des hommes des cavernes

  7. Si vous voulez avoir une petite idée de la culture générale Française, surtout chez les plus jeunes, posez la question suivante (et ce n’est malheureusement qu’un exemple) : qui était Roland Garros ? Le nombre de réponses affirmant qu’il était joueur de tennis risque de vous déconcerter, surtout si vous posez cette question chez les électeurs LFI.

  8. La part d’imaginaire et de construction intellectuelle apportée par la lecture est indispensable.
    Même pour des puérilités à la Tintin!
    « Comment as-tu trouvé le film, demandait un pédagogue à un gamin après la vision d’un film sur Tintin? »
    « Pas mal, mais ILS N’ONT PAS LA MÊME VOIX que dans le livre! »
    Écoliers de CP en 1945, nous savions lire dès la 1ère année, et la lecture assurera, au fil de l’âge, 90% de notre instruction et de nos connaissances.
    L’audio-visuel, désormais seul « maître  » à bord de nos vies d’esclaves des écrans, a tué la lecture…et réduit nos connaissances à l’asservissement au diktat du « marché » mondial.
    Multiculture du néant et de l’asservissement. Le retour en force des obscurantismes religieux contre le Rationnel Citoyen est la conséquence de cette gabegie intellectuelle.

  9. Ce roman du grand Alexandre Dumas chef d’œuvre incontestable a été grandiosement interprété notamment par Gérard Depardieu toutes copies seraient inodore, incolores et sans effet.

  10. Evidemment dénaturé par les interprètations à tous les étages ! Dès l’âge de 12 ans, j’avais compris (télé) que les films d’adaptation de vraies oeuvres n’étaient qu’un essai de vulgarisation, bien en -dessous des livres malgré les « belles gueules », la musique, les mouvements et costumes, les décors pas encore colorisés (exception pour le « grand Meaulnes » d’Albicocco où il y avait un vrai effort).
    Ensuite, scandalisée par la captation pour des « pubs » d’extraits de créations musicales authentiques, complètement hors de leur contexte. Et le « vulgaire » (l’ignare, le pressé, voire le simplet) de demander à la cantonade : C’est quoi, au fait, cette « chanson » ( !) à propos d’un nocturne écorné de Chopin massacré par Gainsbourg et ses bimbos immatures…

  11. Cette œuvre est magnifique, peut-être la plus belle qu’il m’ait été donnée de lire. Tout y est : action, romance, suspense, rythme, rebondissements… avec une description des scènes, des personnages et des sentiments qui subliment notre langue. Je n’irai évidemment pas voir cette dernière version cinématographique, indigne, et préfère en rester à l’interprétation du très grand Depardieu.

    • Souvent on remarque dans les génériques une petite phrase qui en dit beaucoup : librement adapté de l’oeuvre de…

  12. Une fois de plus on ne respecte pas l’auteur et l’on fait un film qui ne correspond en rien à l’histoire . Celà devrait être interdit , c’est du sabotage . Des nuls , incapables de créer sabotent de magnifiques oeuvres et on laisse faire , stop .

    • Quand on a pas les mêmes opinions, on est forcément plus intelligent que son voisin. Par ailleurs, J’ai déjà entendu cette phrase dans le milieu de l’INFL. Le pire c’est quand se défends d’être plus cultiver que les autres en citant du Françoise Sagan. J’ai connu également des personnes, qui voulaient apprendre la guerre d’Algérie avec Benjamin Stor et c’est souvent les mêmes qui font la morale aux autres.

      • Merci de m’expliquer ce que vous voulez dire à Mme STEINER Yolande.
        En effet, comme elle ne fait pas la morale, ne cite pas F Sagan, ne se juge pas plus intelligente que son voisin et n’écrit que des faits objectifs, je n’ai pas compris si vous étiez de son avis par rapport au film versus livre ou contre son avis.

  13. « La culture c’est comme la confiture, moins on en a plus on l’étale » Françoise Sagan.
    Le pire c’est quand on a rien à étaler.

  14. j’ai connu, il y a une trentaine d’années, une jeune femme, prof de lettres en LEP, qui me disait n’avoir jamais lu « le Comte de Monte-Cristo » en entier, parce que c’était trop long …

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