[Une prof en France] Mort du latin : préparez vos mouchoirs…

D'aucuns diront que cela n'a aucune importance. Soyons modernes !
inscription latine

Pour la France, l'affaire semble pliée, dans l'indifférence générale. Au pays de Montaigne, de Descartes et de Félix Gaffiot, les humanités classiques sont moribondes et on prépare leurs funérailles. Le combat cessera, faute de combattants : bientôt, il n'y aura plus de professeurs et la machine à broyer de l'Éducation nationale finira de mastiquer les dernier résistants.

Quel est l'état des troupes ?

Du côté des effectifs, la chute est continue depuis vingt ans. En 1990, 30 % des élèves apprenaient le latin, avec un volume horaire hebdomadaire convenable. En 2000, ils n'étaient plus que 22 % et, aujourd'hui, seuls 9,4 % persistent vaillamment, avec des horaires réduits et des conditions d'apprentissage hasardeuses, hors de quelques bienheureux établissements. Et ce faible pourcentage se répartit de façon très inégalitaire entre le collège et le lycée : 14 % des collégiens suivent des cours de latin, contre seulement 2 % des lycéens, et seuls 0,7 % des lycéens font du grec. La réforme du lycée a créé une spécialité LLCA (Littératures, Langues et Culture de l'Antiquité), un nom fort ronflant et ambitieux pour une discipline qui n'accueille que 0,2 % des 770.000 élèves de première et de terminale, soit un peu moins de 1.300 élèves… Il y a fort à parier que ses jours sont comptés. Du côté des enseignants, la purge a été encore plus violente. Au CAPES 2022, 134 postes de lettres classiques étaient ouverts, ce qui est peu pour un pays de 70 millions d'habitants. Il y a eu 133 inscrits, mais seulement 69 d'entre eux se sont présentés aux épreuves et 41 ont été admis. Si l'on y ajoute les 15 admis au CAFEP, le CAPES de l'enseignement privé, on ne remplit pas les gradins d'une compétition amateur de curling… Même l'agrégation, avec ses 66 admis, a davantage recruté. On arrive péniblement à une grosse centaine de nouveaux professeurs… qui seront mal affectés et démissionneront peut-être au cours des cinq prochaines années. Quand il n'y a plus de professeurs ni d'heures pour enseigner une discipline, elle disparaît.

Pourquoi donc s'occuper de ces vieilleries ?

D'aucuns diront que cela n'a aucune importance. Soyons modernes ! À l'heure de TikTok, de l'omniprésence de l'IA et des projets de colonisation de Mars, pourquoi donc s'occuper de ces vieilleries ? Et qu'importe si on ne sait plus pourquoi Mars s'appelle Mars, cela ne nous empêchera pas de gagner assez d'argent pour payer notre billet dans la prochaine navette, celle qui n'explosera pas au décollage. Et qu'importe si je ne comprends plus rien au monde qui m'entoure car je n'ai plus accès à ce qui précède le XXe siècle ou si je ne suis plus en mesure de comprendre un texte de Rabelais, de Racine, de Hugo ou de Rimbaud… Et qu'importe si je ne comprends plus même le sens des marques que j'utilise au quotidien… Illustration : ce matin, après avoir ouvert mon Velux (lumière) et enlevé mes boules Quies (tranquille), m'être brossé les dents avec mon Vademecum et lavé le visage avec Cadum (nom latin de la cade, ingrédient d'origine) et un peu de Sanex (sain), j'ai mis de la Nivea (blanc comme neige), enfilé mon pantalon Sinequanone et hésité entre mes Nike (victoire) et mes Asics (anima sana in corpore sano) avant de regarder dans mon agenda (choses devant être faites) Quo Vadis (où vas-tu ?) quel était mon programme de la journée. Avec mon Stabilo (solide), j'avais surligné l'heure de mes rendez-vous chez Vivendi (gérondif de vivre) et Cofidis (confiance). Pour m'y rendre, je devais prendre ma Volvo (je tourne), mais comme elle ne démarrait pas, j'ai emprunté l'Audi (traduction latine du nom du créateur) de mon voisin, et non la Stellantis (brillante comme une étoile) de sa femme, moins maniable en ville. Avant de partir, j'ai eu le temps de boire dans mon verre Duralex (dure est la loi) un peu de lait Candia (blanc), ou peut-être était-ce du Lactel (lait), et de manger une tartine de Nutella (noisettes), un Mars (dieu de la guerre) et un Duplo (double). J'aurais bien pris du Pepsi (digestion) et un Magnum (grand), mais cela n'eût pas été raisonnable !

Picture of Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

34 commentaires

  1. « Nike »…là…c’est du grec ! Certains vieux Pieds-noirs, plus habitués à la phonétique (encore du grec) de certain langage d’outre-Méditerranée, refusent d’en porter…

  2. Nolens, volens nous perdons nos racines et ne savons même plus combien nous avons gagné à être colonisés il y a deux mille ans .

  3. O tempora o mores !
    On mesure l’agonie des lettres classiques à l’aune de l’inculture du soi-disant «  bloc élitaire » ! Et comme ledit bloc est d’une ignorance mathématique grave, on n’a pas le postérieur sorti des ronces !

  4. Toutes les inepties et errances de notre classe politique nous font perdre notre latin. Mais il est vrai que « errare humanum est »

  5. « … bientôt, il n’y aura plus de professeurs… »
    Et bientôt il n’y aura plus une jeune personne capable de lire ne serait-ce que les inscriptions sur les frontons de nos magnifiques constructions classiques.
    Alors, « On » fera appel aux vieux.
    Jusqu’au jour où ils ne seront plus là, et que les wokistes exigeront que ces inscriptions soient remplacées en charabia de l’écriture inclusive.

  6. Le latin et mieux encore le grec sont : 1/ une gymnastique de l’esprit 2/ Une ouverture sur la culture classique qui est (avec le christianisme ) le socle de l’Occident. Quant aux maths, si on excepte arithmétique et bases de la géométrie, ils ne servent dans la vie adulte (algèbre, trigo etc) qu’ à moins de 1% de la population ! Et ils dégoûtent un grand nombre d’élèves. En revanche il faut absolument former la jeunesse au raisonnement (outils de la pensée), ce dont tout le monde se sert tous les jours et toute la vie : sémantique, analytique, synthétique, logique, syllogisme, dialectique, causalisme, quiddité, rhétorique…Et cela n’est enseigné nulle part…Pourtant ça nous aiderait à détecter la c…de nos dirigeants.

  7. Bel article que ces nouvelles générations ne peuvent comprendre et qui me rend nostalgique car il est évident que ma génération sera la dernière à en avoir le souvenir. Il faut souhaiter que nos petits enfants s’en sortent le mieux possible

  8. Rigueur… culture générale … amour de la langue française … tout simplement ! Voilà ce qu’apporte le latin aux étudiants, qu’ils soient littéraires ou scientifiques.

  9. Un grad grand merci pour cet article qui nous rappelle à quel point le Latin colle à notre peau ..
    Quelle tristesse cette marée d’ignorance qui a été sciemment mise en place dans l’Education Nationale depuis des décennies .

  10. Le latin était la langue de l’Europe il y a deux mille ans.
    Au moyen âge le roi Richard parlait Français.
    Aujourd’hui l’Anglais est la langue de la mondialisation .
    Comme quoi une petite île est dangereuse !

  11. Personnellement, je n’ai pas appris le latin et le grec ancien au collège et au lycée . C’était dans les années 60 où les langues « mortes » étaient déjà laissées de côté. Étant enseignant en physique et en mathématiques, j’ai redécouvert l’intérêt du grec dans les mots scientifiques, et du latin dans l’apprentissage des langues latines, et même en étudiant les déclinaisons de l’allemand. Ces langues savantes ne sont pas mortes. Les scientifiques créent souvent de nouveaux mots en s’inspirant du latin ou du grec.

    • Dans ce cas-là, ce ne sont pas les élus qui ont perpétré le massacre. Ce sont les enseignants. Aucun élève de ma classe ne serait arrivé à prononcer une phrase latine qu’il n’eut pas apprise ou traduite péniblement avec son dictionnaire. Ce n’est qu’en quatrième que le professeur essayait de nous faire répondre par des phrases simples, mais c’était trop tard. Le problème est d’ailleurs le même pour les langues vivantes, sauf que certaines sont assez indispensables pour que les gens soient obligés de les apprendre par une autre méthode.

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Ça devient une manie d’occuper les églises. Les mosquées par contre…
Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois