[UNE PROF EN FRANCE] On ne leur donne pas les règles ?

L'effondrement du niveau est multifactoriel. Mais les élèves y participent très activement.
@Taylor Flowe-Unsplash
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On m'a envoyé une vidéo en me disant qu'il fallait absolument que je la regarde. Comme je suis une gentille fille, je m'exécute. C'est un long entretien dans lequel un journaliste interroge Aude Denizot, professeur de droit privé à l'université du Mans et auteur de Pourquoi nos étudiants ne savent-ils plus écrire ? (éd. Enrick B).

Le titre du livre vous donne le sujet de la discussion. Bien évidemment, dans les grandes lignes, je ne peux qu'être d'accord avec les propos de cette dame, malgré mon envie de l'écouter en accéléré. Elle déplore l'effondrement du niveau en orthographe et signale qu'il est aujourd'hui corrélé à un désastre syntaxique qui entrave à la fois la communication et la compréhension de propos un peu construits et exigeants. A part quelques idéologues furieux et quelques lâches, personne ne conteste ce constat.

Mais là où mon sang de méridionale n'a fait qu'un tour, c'est quand elle a affirmé que si ses chers étudiants de l'université ne savaient pas distinguer "a" de "à", c'est qu'on ne leur avait jamais appris la règle. Heureusement, elle a eu l'idée de leur donner la règle, cela a été une révélation pour eux et, pleins de gratitude, ils ont cessé de faire la faute.

Guerre des polices

Tant que durera cette guerre des polices et que chacun tapera sur le niveau d'en dessous en pensant que personne, à part soi, ne fait correctement son travail, on n'avancera pas, et les élèves continueront à passer entre les mailles du filet. L'effondrement du niveau est multifactoriel. Mais les élèves y participent très activement. On ne peut nier qu'il existe aujourd'hui un pourcentage conséquent de mauvais profs. Mais, d'abord, je ne suis pas sûre que tous ceux qui enseignaient avant 1980 étaient des premiers de cordée, de bons pédagogues et de fins éducateurs. Ensuite, il existe encore nombre d'excellents professeurs, qui font un travail remarquable... et qui dans l'ensemble n'obtiennent guère de meilleurs résultats.

Un exemple. J'ai fait copier à mes élèves (de 3ème) une règle leur permettant de savoir quand on doit mettre un s à la fin de “leur”. Ils devaient l’apprendre par cœur pour la semaine suivante. Une semaine après, je les interroge. Presque personne n'a fait le travail, hors mes six ou sept biquets. Je renote la règle au tableau ; elle ne fait que trois lignes. Nous appliquons sur une dizaine d’exemples. A apprendre pour la semaine suivante. Je fais alors une dictée, à la fin de laquelle je demande de réciter la règle. Seuls sept ou huit élèves en sont capables. Nous renotons la règle lors de la correction. Un mois après, je leur dis de revoir leur leçon et, quelques jours après, je les interroge. Six réponses satisfaisantes sur une classe de vingt-cinq. Ai-je insuffisamment donné la règle ?

En réalité, ces six élèves forment les 25 à 30 % d'enfants qui faisaient auparavant des études supérieures. Les autres sont, étaient et resteront des PNJ (personnages non joueurs) par rapport aux enseignements abstraits sur lesquels l'école s’est malheureusement concentrée. Et si les professeurs d'université roumèguent aujourd'hui, comme aurait dit ma grand-mère, c'est que leurs classes sont constituées à 70 % de gens qui n'ont rien à y faire, et qui ont passé les dix années précédentes à ne rien comprendre à ce qui se passait autour d'eux et à ne guère travailler. Mais si ces élèves n'étaient pas là, ces professeurs n'auraient pas le loisir de se plaindre, parce que leur poste n'existerait pas non plus : l'inflation des recrutements dans le supérieur a suivi l'inflation du nombre d'élèves. Là aussi, il y a fort à penser que le niveau général s'en soit ressenti.

C'est absolument tout le système qu'il faut remettre à plat. Et tout le monde doit assumer sa part de responsabilités, parents et enfants inclus.

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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

7 commentaires

  1. Je confirme, les professeurs d’autrefois n’étaient pas tous de grands pédagogues loin s’en faut. J’ai fait ma scolarité primaire à partir de 1952 dans une école de campagne à classe unique du CP au CM2, puis le premier cycle du secondaire dans un Cours-Complémentaire jusqu’au BEPC et au concours d’entrée à l’École Normale d’Instituteurs du département pour le second cycle, puis un bref passage en fac de lettres. Or, je peux vous assurer que nos enseignants n’étaient pas des foudres de guerre, pour la plupart d’entre eux, sur le plan de la pédagogie appliquée à leurs ouailles. Je n’ai eu à me louer que de deux profs au cours de ma scolarité, et dans deux matières pourtant réputées rébarbatives : le prof de maths quand j’ai redoublé la classe de première et le prof de grammaire pendant ma première année de Lettres modernes. C’est dire.

  2. Lycéen dans une toute petite ville au début des années 70, nous avions des professeurs qui étaient des personnalités respectées, que nous écoutions. Étaient -ils bons ou pas ? Personne ne se posait cette question, ils étaient nos professeurs. Le baccalauréat était notre objectif et nous savions qu’il n’était pas donné, donc travaillions sans état d’âme.
    Aujourd’hui tout cela n’existe plus , il n’y a plus aucune sélection jusqu’au moment où comme en première année de médecine 2000 étudiants se pressent dans les amphis et doivent ingurgiter des centaines de données et non une règle de grammaire de trois lignes. En deuxième année il en restera 450. Tôt ou tard le travail paye. Toujours.

  3. Cet article me laisse perplexe. Il est certain que l abandon de la sélection au nom de je ne sais quelle idéologie grossit les rangs d élèves qui n ont rien à faire en FAC . Beaucoup d entre eux seraient plus adaptés et plus heureux dans des filières professionnelles. Pour les autres l accès à la compréhension des apprentissages s est fortement complexifie ces dernières années notamment en français et en mathématiques où les termes utilisés autrefois ont changés. Il m’a été difficile de m y retrouver lorsque j’ai voulu anticiper et aider mon fils dès le collège. Quant à la mémoire là aussi il y a beaucoup à dire. Demander à un enfant de mémoriser des textes ou poèmes qui sont une suite de mots et d adjectifs sans aucun sens est idiot. Alors qu une fable de Mr De Lafontaine sera apprise , comprise et son orthographe et son style assimilés , et restituée totalement où partiellement des années plus tard.
    Il y donc une paresse des enfants des parents mais aussi du système et des profs.

  4. Tout tient dans un mot: sélection qui est devenu un gros mot dans votre institution qui nie l’inégalité des individus. Cependant, je me demande si ces profs s’indignent sur la sélection de celui qui va piloter l’avion qui les emmène en vacances.

  5. Je ne peux qu’approuver cet article. Je trouve également qu’il y a trop de bacheliers et trop d’étudiants post-bac. Il est possible aujourd’hui d’avoir le bac sans être capable de rédiger sans faute, construire un texte ayant du sens, avoir un minimum de culture générale, montrer un peu de logique en maths.
    Beaucoup d’élèves ne fonctionnent qu’à la carotte et sans sanction (quand c’est mauvais) ou récompense (quand la leçon est comprise et retenue), ils ne s’investissent pas. Je suis très inquiète pour l’avenir de notre pays.

    • Il y a certes beaucoup de prof qui ne font pas correctement leur travail mais il y a aussi beaucoup de gamins qui ne veulent pas faire d’efforts. La télé les réseaux sociaux ou les jeux vidéo c’est mieux que l’école.

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