[Une prof en France ] Oraux du brevet : indigence et absurdité
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Pour la première fois, j'ai fait passer les oraux du brevet, cette semaine. Les vrais, pas un nouvel entraînement. Retour sur expérience. Un élève avait choisi comme sujet la Retirada, l'exil des réfugiés républicains à la fin de la guerre d'Espagne. Il n'avait aucune connaissance sur Franco (qui serait mort à 40 ans en 1975, ce qui en fait un chef d'État extrêmement précoce…) et ne connaissait pas les dates de la guerre. Quand on lui a demandé ce qu'il avait pensé de la visite du camp de réfugiés, celui qu'il nommait « Rivezalte » sur ses diapos, il a répondu : « Je me suis bien amusé, on a fait des jeux. » Il n'a évidemment pas su répondre à notre question portant sur les raisons pour lesquelles on emmenait des élèves visiter ce genre de lieux mémoriels… Et quand on lui a demandé pourquoi il avait choisi ce sujet : « J'ai reçu un "pour toi" sur TikTok et ça m'a paru intéressant. » Ses sources ? « TikTok et les réseaux sociaux. » La matinée commençait bien…
Un autre élève nous a présenté son « parcours avenir ». Les candidats doivent réfléchir à leur avenir et aux formations qu'ils peuvent suivre pour parvenir à atteindre leur objectif. C'est évidemment ce que choisissent tous ceux qui n'ont pas vraiment envie de travailler un sujet plus « intellectuel » ou culturel. L'un de nos candidats veut devenir footballeur professionnel. Pourquoi pas… Mais il ne sait pas comment sont sélectionnés les joueurs, et en un an, il n'a pas eu le temps de se renseigner. Trop occupé à s'entraîner, sans doute… Il prévoit juste d'aller dans une plus grande ville pour se donner « plus de chances d'être repéré ». Par qui, comment ? Mystère… La vie de ces enfants est faite d'approximation, d'improvisation puis de résignation. En plan B, il annonce vouloir être secrétaire, car il a fait son stage avec sa tante qui fait ce métier, et ça lui a paru « sympa ».
Un autre veut travailler avec les enfants, dans les centres aérés ou les écoles. Et, donc… envisage un CAP petite enfance. Il « adore les enfants et [veut] travailler avec eux ». Il a 16 ans car il a redoublé. Je lui demande s'il a déjà gardé un enfant. Jamais… Mais il a fait un stage de 5 jours on ne sait trop où, et on leur a appris à porter des poupons. Donc, tout va bien ! Je lui confierais mes enfants les yeux fermés ! On essaie de lui faire comprendre qu'avec un CAP petite enfance, on travaille plus en crèche qu'en centre aéré, mais il ne s'est pas renseigné. De toute façon, il ne s'est pas vraiment inscrit non plus. Il attend sûrement qu'on remplisse son dossier. Il envisage de passer le BAFA, mais il n'a pas eu le temps de se renseigner sur la signification du sigle ni sur les modalités de passation. Comme vous le voyez, ce furent des moments intenses !
Ces 5 minutes d'oral suivies de 10 minutes d'entretien - souvent écourtées à 6 ou 7 car ils ne savent de toute façon pas quoi répondre - valent 100 points, soit autant que les trois épreuves de français réunies (dictée + questions de compréhension et de grammaire à partir d'un texte littéraire + rédaction). Un beau coup de pouce…
Allez, une dernière. Une élève présentait comme sujet « le concours Machado », un concours franco-espagnol organisé autour de la figure du poète Antonio Machado. Ma collègue et moi ne savons pas exactement de quoi il retourne ni en quoi consiste le concours. Nous ne le saurons jamais, car l'élève n'en parlera pas dans son exposé, une simple biographie succincte de Machado, ni pendant l'entretien, car elle ne saura pas nous expliquer ce qu'elle a fait, à part avoir visité Collioure. La seule chose qu'elle ait vraiment retenu, c'est qu'à 34 ans, Machado a épousé une jeune fille d'à peine 15 ans. Cela l'a « choquée », terme que nos jeunes emploient maintenant pour évoquer à peu près toutes les émotions ressenties, de l'étonnement à l'indignation, de la joie à la colère.
Vu la réforme des programmes à la rentrée et l'introduction des compétences psycho-sociales, lors des prochains oraux, on pourra simplement faire une petit séance de psy : « Comment avez-vous vécu les relations avec vos camarades cette année ? », « Vous sentez-vous prêt pour l'an prochain ? » Ils répondront par une phrase et demie, nous nous extasierons devant leur maturité émotionnelle et nous validerons leur passage au lycée. Ainsi, tout le monde vivra heureux car nous aurons tous « travaillé sur nos émotions » et amélioré la « qualité du vivre ensemble ».
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Il y a 59 ans, à l’examen du certificat d’études primaires, il fallait apprendre cinq récitations et en réciter une au choix de l’examinateur. Je trouvai ces récitations toutes nulles sauf une. Lorque vint mon tour, l’enseignant me proposa un titre. Je répondis que je n’avais pas appris ce texte. j’aurais pu avoir zéro tout de suite. Il me proposa une autre récitation. Même réponse. Il me dit : « As-tu appris au moins une récitation ? » Je répondis : « Oui, Le petit cheval blanc de Paul Fort ». Le prof’ m’écouta et me donna 18/20.
18 sur 20 pour avoir appris une poésie sur cinq, et avoir assez d’ego pour juger les autres ‘toutes nulles’ à 10 ans (!), on était bien parti dans la glissade générale du système éducatif… et on n’était qu’en 1965, au temps du médiocre Christian Fouchet