[Une prof en France ] Oraux du brevet : indigence et absurdité

Ces 5 minutes d'oral suivies de 10 minutes d'entretien valent autant que les trois épreuves de français réunies.
Brevet des collèges

Pour la première fois, j'ai fait passer les oraux du brevet, cette semaine. Les vrais, pas un nouvel entraînement. Retour sur expérience. Un élève avait choisi comme sujet la Retirada, l'exil des réfugiés républicains à la fin de la guerre d'Espagne. Il n'avait aucune connaissance sur Franco (qui serait mort à 40 ans en 1975, ce qui en fait un chef d'État extrêmement précoce…) et ne connaissait pas les dates de la guerre. Quand on lui a demandé ce qu'il avait pensé de la visite du camp de réfugiés, celui qu'il nommait « Rivezalte » sur ses diapos, il a répondu : « Je me suis bien amusé, on a fait des jeux. » Il n'a évidemment pas su répondre à notre question portant sur les raisons pour lesquelles on emmenait des élèves visiter ce genre de lieux mémoriels… Et quand on lui a demandé pourquoi il avait choisi ce sujet : « J'ai reçu un "pour toi" sur TikTok et ça m'a paru intéressant. » Ses sources ? « TikTok et les réseaux sociaux. » La matinée commençait bien…

Un autre élève nous a présenté son « parcours avenir ». Les candidats doivent réfléchir à leur avenir et aux formations qu'ils peuvent suivre pour parvenir à atteindre leur objectif. C'est évidemment ce que choisissent tous ceux qui n'ont pas vraiment envie de travailler un sujet plus « intellectuel » ou culturel. L'un de nos candidats veut devenir footballeur professionnel. Pourquoi pas… Mais il ne sait pas comment sont sélectionnés les joueurs, et en un an, il n'a pas eu le temps de se renseigner. Trop occupé à s'entraîner, sans doute… Il prévoit juste d'aller dans une plus grande ville pour se donner « plus de chances d'être repéré ». Par qui, comment ? Mystère… La vie de ces enfants est faite d'approximation, d'improvisation puis de résignation. En plan B, il annonce vouloir être secrétaire, car il a fait son stage avec sa tante qui fait ce métier, et ça lui a paru « sympa ».

Un autre veut travailler avec les enfants, dans les centres aérés ou les écoles. Et, donc… envisage un CAP petite enfance. Il « adore les enfants et [veut] travailler avec eux ». Il a 16 ans car il a redoublé. Je lui demande s'il a déjà gardé un enfant. Jamais… Mais il a fait un stage de 5 jours on ne sait trop où, et on leur a appris à porter des poupons. Donc, tout va bien ! Je lui confierais mes enfants les yeux fermés ! On essaie de lui faire comprendre qu'avec un CAP petite enfance, on travaille plus en crèche qu'en centre aéré, mais il ne s'est pas renseigné. De toute façon, il ne s'est pas vraiment inscrit non plus. Il attend sûrement qu'on remplisse son dossier. Il envisage de passer le BAFA, mais il n'a pas eu le temps de se renseigner sur la signification du sigle ni sur les modalités de passation. Comme vous le voyez, ce furent des moments intenses !

Ces 5 minutes d'oral suivies de 10 minutes d'entretien - souvent écourtées à 6 ou 7 car ils ne savent de toute façon pas quoi répondre - valent 100 points, soit autant que les trois épreuves de français réunies (dictée + questions de compréhension et de grammaire à partir d'un texte littéraire + rédaction). Un beau coup de pouce…

Allez, une dernière. Une élève présentait comme sujet « le concours Machado », un concours franco-espagnol organisé autour de la figure du poète Antonio Machado. Ma collègue et moi ne savons pas exactement de quoi il retourne ni en quoi consiste le concours. Nous ne le saurons jamais, car l'élève n'en parlera pas dans son exposé, une simple biographie succincte de Machado, ni pendant l'entretien, car elle ne saura pas nous expliquer ce qu'elle a fait, à part avoir visité Collioure. La seule chose qu'elle ait vraiment retenu, c'est qu'à 34 ans, Machado a épousé une jeune fille d'à peine 15 ans. Cela l'a « choquée », terme que nos jeunes emploient maintenant pour évoquer à peu près toutes les émotions ressenties, de l'étonnement à l'indignation, de la joie à la colère.

Vu la réforme des programmes à la rentrée et l'introduction des compétences psycho-sociales, lors des prochains oraux, on pourra simplement faire une petit séance de psy : « Comment avez-vous vécu les relations avec vos camarades cette année ? », « Vous sentez-vous prêt pour l'an prochain ? » Ils répondront par une phrase et demie, nous nous extasierons devant leur maturité émotionnelle et nous validerons leur passage au lycée. Ainsi, tout le monde vivra heureux car nous aurons tous « travaillé sur nos émotions » et amélioré la « qualité du vivre ensemble ».

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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

44 commentaires

  1. Cela ne date pas d’aujourd’hui hélas, pour avoir pris, pour rendre service aux-uns et aux-autres, ces élèves qui viennent voir comment ça se passe dans une entreprise pour avoir une idée du métier qu’ils aimeraient exercer, des comme ceux-là j’en ai vu beaucoup, comme je voulais les faire travailler un peu (en simulation bien sur) pour qu’ils se rendent compte comment ça se passe et leur donner une petite information, j’ai enseigné longtemps, je ne veux pas qu’ils perdent leur temps (mais c’est interdit parce qu’ils sont là uniquement pour regarder comment ça se passe et pas pour travailler, il ne s’agit pas de travail mais de formation, vite, ils téléphonent à leur prof pour dire que que ça ne va pas, ils trouvent toujours un prétexte les profs qui les protègent les retirent du stage mais comme il n’y en a pas d’autres à leur proposer ils restent chez eux et le prof n’a toujours pas compris la combine et ne vient même pas voir ce qui se passe. Ils ne s’expriment pas mieux lorsqu’ils ont un BEP et même pour certains un BTS, lorsque je recrutais une secrétaire ou une comptable, pendant qu’ elles attendaient leur tour je leur faisais lire une petite revue qui parlait avec humour de la vie en entreprise, ensuite je leur demandais ce qu’elles en avaient retenu, rien, elles n’avaient rien compris, c’était pourtant bien écrit et plein d’humour, un peu comme une bande dessinée facile à lire et à comprendre c’était de leur niveau. A qui la faute ? Dans certains coins les parents ne parlent même pas français, aux profs ? Il ne peuvent pas tout faire surtout pas l’éducation des gosses et pour avoir eu des missions dans les lycées je peux dire que certains ne sont vraiment pas brillants, sauf pour faire de la politique, contester et inventer des choses invraisemblables. Un élève écrit sur le mur d’un couloir le prof le prend en flagrant délit, voilà qu’il a mis la main sur un artiste, c’est vrai pourquoi les élèves ne feraient-ils pas une fresque sur les murs des couloirs et c’est parti, tout le monde gribouille sur les murs sous le regard admiratif des enseignants. C’est incroyable mais pourtant véridique.

  2. Effectivement, c’est tout à fait lamentable. Ca me fait penser à tous ces macronistes qui, depuis hier soir, répètent que le RN n’est pas un parti républicain mais qui sont incapables de démontrer pourquoi le RN n’est pas un parti républicain. Et ce sont paraît-il des responsables politiques adultes. Dans ces conditions, comment s’étonner des propos immatures et ignares de gamins de 15 ans.

  3. Bonjour Virginie. Ce témoignage nous réveille si nous ne l’étions pas. Il vous faut du sang-froid et de l’abnégation pour affronter de tels énergumènes. Mais quelles errances ! Si, en première analyse, nous pouvons nous interroger sur l’attention des enseignants portée à leurs élèves, la réciproque est également à ne pas négliger. Et dans cette réciprocité je perçois les effets d’une surexploitation des smartphones. Les enfants prennent l’habitude de papillonner sur ces outils, sautent d’un sujet à l’autre au grès de leurs esprits instables sans en approfondir aucun. Ils restent dans la superficialité , en sont heureux et s’en contentent. Ils savent …. Alors qu’en réalité ils n’ont fait qu’effleurer la surface de ce qu’ils perçoivent dans la plus complète distraction. C’est-à-dire, rien pour un cerveau totalement déstructuré. Des passoires …. à très gros trous. J’évoque le smartphone car il est le dernier maillon d’une chaine. Mais toute la chaine serait à considérer. En premier lieu, l’attention des parents portée à leurs enfants. Puis leurs encouragements ou leurs redressements. Pour ensuite se pencher sur l’environnement direct de l’enfant, ses fréquentations, ses distractions, etc, pour enfin s’attarder sur le contexte social, un contexte malmené par les extravagances du pouvoir, premier de cordée, modèle exemplaire. Les retombées négatives sur l’Education sont évidentes. Il suffit d’observer la valse des ministres à la tête du « mammouth » et leur qualité. Ce qui n’aide pas à la stabilité, à la continuité, à l’assiduité. Enseignants, vous êtes les naufragés d’un bateau ivre. Le sauvetage sera très difficile , demandera de nombreuses années. Mais qui aura le courage et la force de vous aider, de se jeter dans cette mission presque insurmontable ? Un téméraire et inconscient, sûrement. Mais gardez courage et espérance. La roue tourne toujours. J’observais les hirondelles à l’ouvrage. A l’aide de minuscules touches de boue, elles bâtissent de magnifiques nids, chaque année, courageuses, déjà aimantes de leurs petits à naître. Enseignants, vous êtes de ceux-là. Virginie je vous souhaite une bonne semaine. Toujours heureux de recevoir vos commentaires.

  4. Et bien vous en apprenez des choses, quels merveilleux élèves en face de vous, je comprend mieux le vide de certains de mes étudiants en médecine.

  5. Je vais avoir 60 ans cette année. Déjà de mon temps, je parle maintenant comme un vieux schnock :) , le niveau était déjà catastrophique. Les programmes scolaires étaient débiles et le lyssenkisme régnait en maitre dans toutes les disciplines. Pour avoir de bonnes notes il fallait montrer que l’on était dans la « ligne du parti ». En Anglais ? On nous expliquait que les Etats-Unis étaient un pays horrible qui pratiquait la ségrégation et le maccarthisme. En fait les deux étaient déjà terminés depuis des lustres. En Espagnol ? Vite El Canto General de Neruda. ça permettait au passage de montrer que Pinochet soutenu par les Etats-Unis (encore eux) était vraiment un très vilain personnage, ce qu’il était évidemment. En Histoire ? Le méchant c’était Staline qui avait dévoyé une merveilleuse idée, le communisme, alors que Castro et les dirigeants du Tiers-Monde étaient des gens épatants ! Déjà à cette époque, le dé colonialisme existait, même si on ne lui avait pas encore trouvé un nom.
    Quant aux sciences dures, les maths modernes furent un supplice sans fin qui firent que je sortis du lycée sans savoir faire une règle de trois.
    Cette prof qui a écrit cet article est surement beaucoup plus jeune que moi. Le « privilège » (sic) de l’âge fait que l’on perçoit cette catastrophe qu’est l’Education Nationale sur une longue durée. Bref, il n’y a rien de nouveau sous les soleil. Ah si ! Il y a maintenant l’Islamisme et des profs qui se font décapiter ! Mais il faut bien que jeunesse se passe…

  6. Les entreprises ont du souci à se faire pour le recrutement de main d’oeuvre dans les prochaines années .

    • Cela fait une decenie que les entreprises voient le niveau de leurs postulants chuter en flèche. Au point que les cabinets de recrutement ne cherchent plus prioritairement des compétences mais des candidats a qui on espère pouvoir un peu ouvrir la lumière une fois embauchés… c’est dire.

  7. Et c’est ce genre de truc qui va voter dans quelques années pour le destin d’un pays. Pensez aux poilus, à leurs lettres,à leurs souffrances. Tout ça pour ça. Serait ce l’Evolution?Mon grand-père né en 1900 écrivait lisiblement et sans fautes.

  8. Pourtant ils s’imaginent plus intelligents et cultivés que les générations précédentes….l’avenir leur réservera d’immenses surprises lorsqu’ils postuleront pour un emploi !

    • Tout va bien il est prévu de leur donner le droit de vote . Ceci certains enseignants ont vis à vis des collégiens et lycéens des exigences d’une nullité pathétique , j’en tiens pour exemple des discussions avec un petit fils élève de première qui rêve de devenir architecte parce qu’il empile des briques sur une console de jeux mais n’ouvre jamais un livre .Il devait récemment faire un exposé en 2 ou 3 diapos pour son prof d’histoire et a choisit comme sujet Stalingrad en se basant sur le film du même nom …

    • Pas d’inquiétude, les chefs d’entreprise ne sont pas tous des cracks en français, ni en orthographe, alors…

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