[Une prof en France] Pour 100 briques, t’as plus rien…
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Lisant avec attention mes modestes chroniques, ce dont je leur sais gré, certains se sont émus du fait que j'ai donné à lire à mes élèves Les Aventures de Huckleberry Finn et L'Île au trésor, au détriment des chefs-d'œuvre de notre patrimoine. Dans les choix des professeurs, il y a une part de liberté et de choix personnel, et une part de contraintes. Je m'accorde donc ici un bref droit de réponse afin de faire comprendre aux parents et à tous ceux qui s'intéressent à la formation de la jeunesse comment les choses fonctionnent dans un certain nombre de collèges. J'organiserai mon propos en trois points selon les règles antiques de notre bonne rhétorique.
Tout d'abord, il faut admettre que le professeur est responsable de ses choix. Officiellement subsiste pour lui une certaine liberté dans la sélection des œuvres et des textes qu'il va soumettre aux élèves. Et il se fixe un certain nombre d'objectifs, qu'il corrèle logiquement au niveau des enfants qu'il a en face de lui. Mais il est en réalité limité par deux contraintes majeures. La première tient aux difficultés croissantes que les jeunes rencontrent lorsqu'il s'agit de lire un livre, voire de lire un texte. Mon souci n'est pas de chercher des responsables - les méthodes de lecture, l'incurie de certains professeurs, l'exposition aux écrans… - mais de faire un simple constat. On ne travaille pas au quotidien dans un monde utopique, mais dans le réel, avec lequel il faut bien composer, si décevant et révoltant soit-il. Le fait est que mes élèves ne lisent pas. Lire un livre n'est pas pour eux une expérience exaltante mais une sombre menace. L'objectif que l'on peut se fixer est donc simplement de les faire lire, de leur proposer des textes qu'ils comprennent, qui les invitent à réfléchir et à se poser des questions morales, mais aussi qui n'aient pas été adaptés récemment en film…
Ensuite, il me semble que ce qui se joue aujourd'hui, au-delà de tout chauvinisme intellectuel, est la transmission, et peut-être la survie, de la culture occidentale, et non seulement de la culture française. On nous reproche rarement de faire lire l'Odyssée ou Les Métamorphoses d'Ovide, alors même qu'on les propose dans des traductions ineptes qui ôtent aux textes toute leur poésie et les réduisent à une série d'aventures. On peut aussi sans honte donner Roméo et Juliette ou les romans de Jack London, qui ont fait rêver plus d'un adolescent et qui font partie de la culture générale. Nos élèves viennent de tellement loin, avec l'idée d'un monde né en même temps qu'eux, que l'essentiel est de réactiver les notions mêmes de transmission, d'héritage, de passé et de construction culturelle.
Enfin, et c'est malheureusement le point essentiel, la raison de tout cela est avant tout financière, dans mon établissement comme dans de nombreux autres collèges. Je ne sais pas si les gens se rendent bien compte de la misère profonde des écoles françaises, malgré les budgets colossaux alloués. Dès mon arrivée, on m'a informée que nos élèves venaient de familles très défavorisées socialement, alors même que ce sont dans leur grande majorité ce que l'on appelle aujourd'hui des « Français de souche » - en tout cas des Européens. J'étais donc autorisée à demander aux familles l'achat de trois livres, pour toute l'année scolaire. Pas un de plus. Pour le reste, je devais exclusivement utiliser les séries (c'est-à-dire les stocks de livres en trente exemplaires) du centre de documentation et d'information (CDI) du collège. Or, ce fonds est indigent. J'ai donc demandé l'achat de livres. Dans ma liste, on trouvait Tristan et Iseut comme Cyrano de Bergerac, du George Sand, du Victor Hugo, du Mérimée ou du Corneille. Mais tout m'a été refusé. Il n'y avait plus un sou dans les caisses, pour rien. J'ai donc dû composer avec ce qu'il y avait, et qui datait parfois de quinze ans.
Alors, comme d'habitude, on peut se demander où va l'argent… Où partent les 60 milliards pris aux Français chaque année pour l'Éducation nationale ? Pas dans le salaire des professeurs, pour sûr. Pas, non plus, dans les collèges ruraux, visiblement.
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27 commentaires
Très bon article, qui hélas reflète bien la réalité ; l’enseignement, j’en sors tout juste, et, de fait, on en est là. Triste constat. A moins d’un changement de gouvernement, et donc de politique, mais aussi de comportement de nos jeunes, et donc d’éducation, il n’y a rien à attendre de l’Education nationale.
« De mon temps… » Désolée. Lorsqu’on nous demandait d’acheter un livre, on ne s’occupait pas des revenus des parents.
Etudier un livre traduit, ce n’est pas étudier le français. « Traduction, trahison », n’est-ce pas?
Bravo Virginie, très bon texte et très bonne mise au point, surtout ne lâchez pas la barre .
Moi même ancien responsable d’un CDI de collège, j’avais lancé une opération de donation auprès
de nombreux éditeurs francais , nous avions reçu une centaine d’ouvrages de fin de séries qui
avait enrichi la bibliothèque du collège !… l’indigence des fond destinés à notre CDI étant évidente.
Excellente initiative.
Ils sont « marrants » ces fonctionnaires, ils ne sont responsables de rien. Leurs syndicats font la loi dans les ministères, mais …? c’est pas nous, nous on subit ! Et il se laissent faire, les pauvres !
L’argent va à tous les parasites de l’éducation nationale: inspecteurs, formateurs ,concepteurs ,administrateurs ..anciens professeurs ratés qui ne veulent pas voir d’élèves…et on peut les comprendre car on a remplacé les élèves pas des « djeunes’ que les parents n’ont pas éduqués.
Même phénomène que dans les hôpitaux : une administration pléthorique, et les professionnels les moins intéressés par leur métier investis dans la réunionnite, l’élaboration de protocoles et le contrôle de leurs pairs…
Madame, plus je vous lis, plus j’éprouve un sentiment partagé entre admiration et incompréhension, ou serait-ce que je respecte votre dévouement ? Allez savoir ?
En parlant de « savoir », je suis de ceux qui n’éprouvent aucun respect pour ce qu’est « l’école à la française », sous le nom de « Éducation Nationale », que je définis depuis longtemps sous le nom moqueur de « Abrutissement National ».
Quand je vois les étudiants détruire leurs universités pour de fausses raisons dites politique (de gauche évidemment), c’est alors que je comprends pourquoi celles-ci, les françaises, caracolent en bas du classement des universités à travers le monde.
Le monde de l’université française est mort.
Maintenant les livres, les bouquins comme on dit…
D’abord, je suis une exception, un vieux croûton, à qui offrir un livre alors enfant, était vécu comme une récompense, le genre de gamin qu’il fallait appeler plusieurs fois, puis se déplacer pour l’obliger à venir à table pour le déjeuner… Puis se gendarmer pour éteindre la lumière de sa chambre et ranger son livre…
La TV c’était une énorme boîte avec un petit écran flou, réservé aux grands, ou alors pour les grands événements, tels les conférences de presse du Général de Gaulle, entre autre.
Un privilégié en quelques sortes, et pourtant un dyslexique qui doit tout aux livres et à son entourage, qu’il fatiguait à coups d’explications de mots et de textes.
C’est le même vieux croûton qui, en 2023, s’extasie lorsqu’il voit un « jeune » lire un livre, plutôt que de « faire des trucs sur son écran ».
J’ai beau vivre avec mon temps, je ne remercierai jamais assez mes parents et grands parents pour leur éducation, leur patience avec le dyslexique petit dernier de la famille, et leur propre amour de la lecture.
Bon courage Madame, il vous en faut.
Quel courage et quelle profonde tristesse à vous lire ….
Croyez en ma profonde admiration .
Oui où va l’argent du premier budget de France ? Dans les coûteuses ZEP de banlieues . De toute façon ce n’est pas seulement l’argent de l’éducation nationale qui converge vers les banlieues et uniquement ! On voit bien où sont les priorités !
L’argent va dans cette population toujours croissante de fonctionnaires rattachés avec raison ou pas au budget de l’éducation nationale.
Quelqu’un avait pourtant dit un jour qu’il fallait dégraisser le mammouth mais ce n’était sans doute là aussi que des paroles
Ne vous inquiétez pas du devenir du des deniers publics. Certains savent pertinemment de quoi il retourne. Posez la question aux lobbyistes des cabinets de conseils , consulting et autres. Allez au hasard McKinsey.ils n’ont pas besoin de livre ils ne travaillent que sur Excel
Pas un seul Notre Dame en livre de poche, ce qui est extraordinaire, c’est que ces enfants pauvres n’ont pas les moyens de se payer un bouquin d’occasion à 3 balles , mais par contre ils ont tous leur smartphone à l’oreille et l’abonnement qui va avec, en effet la culture est un problème de choix, j’ai commencé à aller à l’école vers la fin de la guerre de 39-45, il y avait beaucoup de pauvres à l’époque et pourtant les enfants lisaient, problème d’époque sans doute, d’où notre magnifique classement Pisa!
Mais non : le problème, ça a commencé avec l’intrOduction de la télévision-boite à conditionnement dans les foyers, y compris (et surtout ) les plus pauvres, et pour distraire les mamies, vers 1962 : Adieu livres et émissions radio, bien plus efficaces pour l’imagination, l’ouverture d’esprit et le raisonnemenr…
« Les enfants lisaient », « ils ont tous » : il ne faut pas faire de généralités. Mes beaux-parents ont 70 et 80 ans et sont pourtant à peu près illettrés et ce sont des Français de souche d’un milieu ouvrier provincial. Il faudrait arrêter de faire croire que votre génération est tellement plus exceptionnelle que les autres, c’est fatigant.
Bien vu malheureusement
J’avais fait, il y a quelques années un calcul simpliste. Diviser le nombre d’élèves par le nombre de salaires. On approche de l’armée Mexicaine. On devrait avoir des classes de 11 élèves.
Bon, arrêtez un peu d’essayer de nous faire pleurer avec le sort des profs, ça devient grotesque.
Vous voulez savoir pourquoi les profs ne sont plus respectés ?
Je n’ai pas la réponse universelle, mais je peux vous l’expliquer concernant les enfants de la classe moyenne.
Alors, quand vous êtes élevé par deux parents qui font 110 heures de boulot en moyenne par semaine, et que votre premier réflexe d’élève, entre deux grèves des profs, c’est de regarder le tableau des enseignants absents pour savoir si vous allez en cours, en perm’ ou au café, et bien croyez moi ou non, ça n’aide pas à respecter les profs.
Je passerai sur les devoirs qui ne sont jamais corrigés, les stupidités et autres angelismes…
Enfin bref, ça fait longtemps que Topaze a laissé sa place à des branquignoles, donc il n’y a plus rien à respecter.
Demandez vous pourquoi le niveau des professeurs a baissé? Qui veut faire ce métier mal payé, mal considéré, caricaturé ?
Si l’armée Française comptait autant d’effectifs que l’éducation nationale nous aurions le deuxième contingent mondial derrière la Chine. Malgré ces membres pléthoriques, notre enseignement est tout en bas du classement européen en matière de résultats. Y a t-il un pilote dans l’avion ? Où vas le fric ? Personne ne semble en mesure de répondre à ces questions.
Bonne question : ou passe tout cet argent ? D’ailleurs ou passe donc tout l’argent de nos impôts et de toutes les taxes que nous payons puisque partout on manque de moyens : éducation , soins , sécurité ……Nous français on voudrait bien savoir comment et à quoi servent tous ces prélèvements , si notre argent est affecté de façon juste et légal et non dilapidé et détourné .
Oui. C’est le fond du problème !
Oh que oui