[Une prof en France] Public-privé, le règne de l’hypocrisie

gabriel attal

Notre gouvernement refuse d'augmenter le quota régissant le nombre d'élèves pouvant s'inscrire dans un établissement privé sous contrat et vante à longueur de discours les vertus inégalables de l'école publique. Pourtant, quand on regarde les choix faits par nos politiciens, ou par leurs parents, on observe une sur-représentation de l'enseignement privé dans les formations choisies. Serait-ce à dire que l'école publique n'est pas, à leurs yeux, apte à former correctement les jeunes ambitieux et que l'école privée serait plus efficiente dans la transmission des fameuses « valeurs de la République », vu que les hommes et femmes appelés à gouverner le pays sont massivement formés sur ses bancs ? Gabriel Attal assume le fait d'avoir suivi sa scolarité à l'École alsacienne, comme Agnès Buzyn, Stanislas Guerini et Léa Salamé ou encore Laurent Gaudé, écrivain dont les textes ont été choisis par le ministère pour le sujet du brevet 2013, du bac de français 2015 puis à nouveau du brevet 2018. Les univers de la politique, des médias et de la culture s'entremêlent dans cet entre-soi fructueux.

Ces politiques qui ont fréquenté le privé

Bruno Le Maire a étudié à Saint-Louis-de-Gonzague, où sont passés aussi Luc Châtel et Prisca Thevenot, secrétaire d'État chargée de la Jeunesse et du Service universel. Emmanuel Macron et François Ruffin étaient à La Providence d'Amiens, Gérald Darmanin, pourtant fils de concierge, était aux Francs-Bourgeois, un des établissements sélects de la capitale. « Sur [ses] 130 cousins-cousines », aurait-t-il déclaré, ils ne sont « que deux à avoir le bac… »*. Il semble dire ainsi que sa mère a fait le bon choix en le sortant de l'école publique…

Valérie Pécresse a fréquenté Sainte-Marie-de-Neuilly, comme Olivia Grégoire, ancienne porte-parole du gouvernement et actuel ministre délégué chargé des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, était à Saint-Adjutor, dans l'Eure, Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles, à Saint-Jean-Hulst à Versailles, et Nicolas Sarkozy au cours Saint-Louis-de-Monceau. Jean-François Coppé sort de l'École active bilingue Jeannine-Manuel, quand Jean-Michel Blanquer vient de Stanislas, comme François Barouin, alors que Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, a été formé à Sainte-Agnès-d'Angers. Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe, a passé ses années d'école sur les bancs de Notre-Dame-de-Sion et de La Bruyère-Sainte-Isabelle, et Éric Dupond-Moretti, fils d'un maçon et d'une femme de ménage, a été scolarisé au lycée Notre-Dame de Valencienne. Même nos ministres d'origine modeste ont donc vu leurs parents faire de lourds efforts pour les scolariser dans des structures privées, généralement catholiques, et pour les extraire de la formation prônée pour tous les petits Français. L'hypocrisie est totale. La situation était supportable quand les hommes politiques ne passaient pas leur temps à nous faire la morale et à courir après la coupe du plus vertueux ou du plus républicain.

Fin de non-recevoir

Une question au gouvernement de Mme Boulay-Espéronnier, sénatrice Les Républicains, soulevait le problème de la liberté de choix, centrale pour de nombreux parents qui ne savent pas où inscrire leur enfant. Le 22 décembre 2022, elle interpellait ainsi le ministre : « Ce secteur d'enseignement est soumis à des règles limitatives qui le mettent dans l'impossibilité de pouvoir suffisamment répondre à la demande. En effet, l'État maintient à 20 % maximum le nombre total des élèves scolarisés dans le privé sous contrat. Aujourd'hui, cette pratique conduit à une pénurie organisée dans l'enseignement sous contrat. Les études montrent pourtant que plus de 40 % des familles choisiraient le privé si elles pouvaient, soit plus du double du quota toléré par l'État. » Et elle demandait « une réforme efficace et juste de notre système éducatif qui consisterait à un assouplissement ou une suppression de ce quota de 20 % dans l'enseignement privé sous contrat ». Vu le parcours d'une très grande majorité de nos hommes politiques, on aurait pu attendre une réponse positive, une réelle prise en compte des souhaits des Français de voir le système scolaire se libéraliser. Mais la réponse du ministre, publiée le 6 avril 2023, a offert une fin de non-recevoir à cette demande.

Visiblement, ce qui est bon pour eux n'est pas pour le « gros populas » (La Boétie, Discours de la servitude volontaire)…

* Propos rapportés par Laurent Valdiguié et François Vignolle, Gérald Darmanin, in Le Baron noir du Président (Éd. Robert Laffont, mars 2022)

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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

35 commentaires

  1. Pas étonnant que l’école publique soit mauvaise. A Bourges au Lycée Jules Vernes en 3ième il y a 1/4 d’élèves « allophones » qui ne comprennent ni ne parlent un mot de Français. Pourquoi sont-ils là ? c’est un grand mystère. Ajoutons à cela que (dans un autre lycée de Bourges) les parents et grands-parents des vrais Français, même avec des diplômes d’ingénieurs ne comprennent pas les questions des profs de maths. C’était déjà le cas pour mon petit fils en primaire je ne comprenait pas les questions de grammaire posées en utilisant des termes du niveau agrég. Tout est fait pour que l’élèves Français ne puisse être aidé par ses parents afin que son niveau s’aligne sur les plus mauvais élèves voire sur les élèves « allophones » (encore un termes idiot)

  2. L’école publique n’a pas toujours été cette catastrophe, elle l’est devenue.
    Mon père était illettré, mais mon frère ainé est devenu professeur, le cadet à fait Maths Sup, moi je suis devenu Technicien Supérieur Électronicien.
    Dans ma campagne, certains quittaient l’école pour reprendre qui la ferme ou l’entreprise d’artisan des parents.
    Excepté les quelques cas sociaux, les autres continuaient vers le BEPC d’abord, qui ouvrait un certain nombre de voies, vers le BAC qui avait une vraie valeur, bien perdue aujourd’hui, vers des études supérieures pour les plus doués. C’est cette hiérarchie scolaire menant vers un éventail d’emplois qui à disparu aujourd’hui dans l’enseignement public.
    Et nos élites l’on très bien compris . Dans l’article on énumère le parcours de nos dirigeants actuels, mais il aurait été encore plus intéressant de voir leurs choix en ce qui concerne leur progéniture, à l’instar de Pap N’Diaye notre ex-ministre de l’éducation.

  3. Les gouvernements successifs sont certes à blâmer, mais que penser des enseignants constamment en grève pour des motifs catégoriels….!
    Jamais ces personnes n’ont manifesté pour contrer les élucubrations de leur hiérarchie, à commencer par les ministres.

  4. Ne pas oublier dans la liste François Hollande, dont l’éducation religieuse catholique privée au pensionnat Saint Jean Baptiste de la Salle n’a pas suffi à lui transmettre le respect des autres, qu’il qualifiait de sans dents !

  5. Il y a encore quelques décennies l’enseignement public était de grande qualité, l’enseignement privé ne l’était pas moins. Aujourd’hui les parents se bousculent pour faire entrer leurs enfants dans le privé. Les causes : des programmes délirants qui ignorent l’importance des fondamentaux la dispersion des matières enseignées, le manque d’autorité,le recrutement des enseignant, titulaire de diplômes qui ne sont pas des brevets de capacité pédagogique et la sclérose de ce ministère dont on se demande bien qui le dirige réellement. Il ne reste plus qu’à attribuer aux élèves leurs diplômes à l’ancienneté.

    • Vous avez parfaitement raison de parler d’enseignement et non d’éducation. A l’école d’enseigner et aux parents d’éduquer…

  6. A part quelques établissements de centre ville, le public n’assure plus sa mission d’enseignement parce que les élèves ne le permettent pas, niveau trop bas, respect des profs et des consignes absents. Les parents se tournent vers le privé parce que leurs enfants y sont mieux encadrés par des profs mieux respectés et moins absents. On réussit mieux dans un établissement où l’on travaille. On réussit mieux dans un établissement qui met à disposition des casiers, des salles d’étude, qui organise des épreuves de bac blanc, voire plus d’une. Dans certains lycées public de centre ville (pourtant déclarés bons) pas d’oral blanc de français faute de profs, de salles dispo. Ca change forcément le résultat…

  7. D’autant que l’école privée, outre d’être auréolée de bien meilleurs résultats,coûte infiniment moins chère que le public.
    Il est vrai que les économies n’ont jamais été l’apanage de ce gouvernement. Ah, toujours l’idéologie, qui nous démontre chaque fois qu’elle n’a aucun lien, ni avec le réel, ni avec le bon sens.

  8. L’école privée est très bien mais le public l’est également. Ce qui pèche dans le ublic c’est le lamentable niveau de nullité de 80% des profs et leur aliénation aux gochaux. Ils ne font pas de l’enseignement mais de l’endoctrinement.

  9. Il manque deux figure d’importance dans votre liste révélatrice : 1) un certain Mitterrand qui a débuté ses classes à Sainte Marie de Jarnac (privé naturellement) puis fut pensionnaire dès lâge de 9 ans au collège privé d’enseignement catholique Saint Paul à Angoulême et le second, à titre d’exemple 2) Pompidou qui lui a effectué sa scolarité dans le public, Lycée Lapérouse d’Albi puis lycée Pierre de Fermat à Toulouse et enfin Lycée Louis Le Grand Paris. Il semble donc que le privé soit plus un choix de gauche que de droite mais, la gauche préfère interdire la promotion individuelle pour éviter, autant que faire se peut, la concurrence ! Mitterrand ne voulait-il pas supprimer l’enseignement privé lui qui lui devait tout son savoir ?

  10. « Ceux qui nous dirigent » (il parait qu’on les a choisis) sont extraordinaire par leur (in) constance… Le libéralisme à tout va, tout ou presque devant être « privatisé » pour plus d' »efficience »: Gaz de france, les PTT, France télécom et j’en oublie…Mais surtout pas l’enseignement. J’avais un ami qui était directeur d’un établissement secondaire privé sous contrat, qui donnait des cours de philosophie et qui avait pour l’aider une secrétaire comptable. A comparer au fonctionnement du « mammouth » avec sa comptabilité soumise au Trésor Public et à ses CPE et autres postes nébuleux.

  11. Il n’est pas qu’en France que l’école privée est et a toujours été le symbole d’un enseignement digne de ce nom. En Afrique la plupart des dirigeants ont été éduqués chez les « bons pères »

  12. Pourquoi ne pas copier ce qui fonctionne bien. Mes parents pas particulièrement riches ont fait d’énormes sacrifices pour nous mettre dans un école privée et je le fis pour mes enfants et mes enfants le fond pour mes petits enfants . La sélection par l’argent n’est pas un vain mot c’est pas seulement pour les riches quand on aime il faut faire des choix pour le bien avenir des autres. Ceux ci dit il est des établissements publiques qui font mieux que des écoles privées . L’éducation parentale est un gage prioritaire pour l’instruction

  13. Bonjour Virginie. Heureux de vous lire. Beau travail de recherche. Message à sauvegarder à toutes fins utiles. Vous semblez vous limiter aux lycées conduisant à des études littéraires . J’ai suivi une filière technique/scientifique donc un enseignement public. A l’époque, années 60, nous n’avons pas eu à nous en plaindre. Discipline militaire. 8 heures de cours par jour exceptés les jeudis et samedis après-midi. Pas de burn out, pas de surmenage chez les élèves. Etions-nous exceptionnels ? Sûrement pas. Simplement des « rentre dedans », non pleurnichards , on aimait nos études. Des harceleurs, des persécuteurs ? Assurément ! (600 internes plus 600 externes). Pas besoin de remuer ciel et terre. Les élèves réglaient les différents eux-mêmes, par intervention « des anciens ». La sanction était parfois sévère : pousser du nez un petit caillou dans une aire de réception de la barre fixe (sable). Le harceleur était identifié aux yeux de tous pendant quelques semaines, le temps que la blessure de son nez disparaisse. Les pions et le Surveillant général tournaient le dos. Aujourd’hui , on serait conduit devant les tribunaux avec scandale planétaire, traités de barbares. Mais bien plus efficace que nos tergiversations, que nos palabres actuels et surtout moins couteux. Mes enfants on fait leurs études primaires et secondaires à Juilly. Un enseignement remarquable tourné vers l’ouverture d’esprit. A tel point que je me demandais parfois si les exercices imposés n’étaient pas des tests à l’intention des parents . Ex : identifier les différents types de centrales nucléaires, schémas de principe, description de leur fonctionnement. Il va sans dire que les parents devaient apporter leur science. Mais pas d’interventions d’éléments extérieurs militants. Les profs se suffisaient, eux aussi conduits à se remettre en question. Mais je bavarde, je bavarde à vous distraire. Cessons là. Bonne semaine Virginie et toujours attentif à vos observations.

  14. Dommage qu’il n’y ait pas une école pour former les bons hypocrites ;elle serait très fréquentée.
    Certains me diront que ce n’est pas nécessaire, car l’hypocrisie est un don naturel.

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