[Une prof en France] Une oasis de grâce dans un monde inculte

vivarium novum

Rabelais proposait, dans son Pantagruel, un programme d'éducation particulièrement exigeant : « C’est pourquoi, mon fils, je t’admoneste d'employer ta jeunesse à bien profiter de tes études […]. J’entends et veux que tu apprennes les langues parfaitement. Premièrement le grec, comme le veut Quintilien, puis l’hébreu pour les saintes Lettres, le chaldéen et l’arabe pour la même raison ; et que tu formes ton style sur celui de Platon pour le grec, sur celui de Cicéron pour le latin. Qu’il n’y ait d’étude scientifique que tu ne gardes présente en ta mémoire et pour cela tu t’aideras de l’Encyclopédie universelle des auteurs qui s’en sont occupés. Des arts libéraux : géométrie, arithmétique et musique, je t’en ai donné le goût quand tu étais encore jeune, à cinq ou six ans ; continue ; de l’astronomie, apprends toutes les règles […]. Et quant à la connaissance de l’histoire naturelle, je veux que tu t’y adonnes avec zèle : qu’il n’y ait ni mer, ni rivière, ni source dont tu ignores les poissons ; tous les oiseaux du ciel, tous les arbres, arbustes, et les buissons des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de tous les pays de l’Orient et du Midi, que rien ne te soit inconnu. »

Quelle ambition ! Le père de Montaigne, qui avait lui aussi de grandes ambitions pour son fils et vivait pleinement les idéaux humanistes, fit un choix radical : il fit évoluer son garçon jusqu'à l'âge de six ans dans un univers exclusivement latin afin de lui ouvrir l'accès, direct, non médiatisé, aux textes antiques dont il voulait qu'il s'imprégnât.

Aujourd'hui, tout cela paraît impossible. Et pourtant… et pourtant il existe en Italie, adossée à l'une des collines romaines, une école qui ressemble à l'abbaye de Thélème, une école dans laquelle sont réunis une cinquantaine de jeunes garçons de 16 à 25 ans afin de s'abreuver directement à la source antique. L'enseignement, la vie quotidienne, les loisirs, tout s'y fait en latin, grâce aux méthodes de latin vivant développées au cours du siècle dernier. Philosophie, musique, théâtre, arts libéraux, dessin : on y retrouve le meilleur de la tradition éducative européenne. Quel projet enthousiasmant ! Tout y respire l'élégance et l'élévation, à commencer par le cadre, qui est d'une rare beauté. Et cela compte. Si Jules Ferry a fait une chose louable, c'est d'avoir couvert la France de ces palais scolaires qui embellissent encore aujourd'hui nos villes et nos villages, avec l'idée que l'école, en tant que temple du savoir, devait être aussi un lieu d'éducation à la beauté.

L'Accademia Vivarium Novum est un de ces lieux qui échappent au temps et « maintiennent », contre vents et marées. Loin de l'agitation tourbillonnante du monde moderne, les étudiants y trouvent le calme et l'harmonie nécessaires à l'éducation, celle qui, conformément à l'étymologie du mot, nous élève, nous emporte, nous extrait de notre médiocrité animale pour nous faire pleinement accéder à l'humanité. « On ne naît pas Homme, on le devient. » La formule d'Érasme, si contestable et contestée soit-elle, évoque un idéal humain étayé par un souci élevé de culture, ce processus par lequel on ne laisse pas son corps, son esprit et son âme en friche, mais grâce auquel on les transforme en terre fertile. À l'Accademia Vivarium Novum, on a l'humilité de reconnaître que les Anciens se sont posé toutes les grandes questions qui nous tourmentent et que les réponses qu'ils leur ont apportées ne sont pas dénuées d'intérêt. Ils ne sont pas aveuglés par les paillettes scintillantes de la modernité et ne croient pas que le monde est né après la Seconde Guerre mondiale. C'est une toute petite enclave, un projet un peu fou, mais Dieu que cela fait plaisir de voir une œuvre aussi salutaire perdurer depuis vingt ans, et se développer !

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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

23 commentaires

  1. C’est impressionnant et encourageant de les voir parler latin si facilement. Les jeunes qui passent par cette école dans ces beaux murs et ce beau paysage sont autrement mieux armés que ceux qui ne savent pas écrire sans laisser leur ordinateur leur rajouter des fautes.

    • Si j’ai bien compris la vidéo et ce qui est marqué sur le site, l’année est…gratuite. enfin je suppose qu’ils doivent payer pour l’hébergement, mais ça a l’air d’être plus ou moins offert. Ils ne doivent pas crouler sous les demandes, malheureusement … Ce sont les stages d’été qui ont l’air d’apporter le budget nécessaire. Là c’est cher par contre, mais mixte. Enfin c’est chouette de découvrir que ça existe !

  2. bravo de nous avoir fait connaitre cet exemple ITALIEN…. A quand sa réplique FRANCAISE dans notre chère et pauvre patrie de plus en plus dévalorisée sous les coups de boutoir du wokisme et de l’islamo gauchisme ???

  3. Mon grand-père paternel à fait Polytechnique en 1920, et à passé un concours dans lequel étaient obligatoires les épreuves de Français, de Latin, de Grec, d’Histoire, de Géographie et bien sûr de Mathématiques. Cette école était surnommée, dans la bonne société parisienne, l’Ecole des gendres… Allez savoir pourquoi?
    Il est clair qu’aujourd’hui, grâce à de nombreuses réformes, cette Grande École des officiers d’artillerie et du génie créée par Napoléon, n’a plus grand chose à voir avec celle d’exception qu’elle a été pendant cent cinquante ans…

    • Je crois qu’aujourd’hui, pour la plupart des concours d’écoles d’ingénieurs, il n’y a même plus de 2e langue vivante obligatoire. Juste l’anglais. Ça suffit d’un autre côté pour gérer ChatGPT, qui rédige l’essentiel des devoirs faits à la maison, et des articles parus aussi, certainement…

  4. Il est à souhaiter qu’un pareil lieu de culture, sans être une néo-féministe, existe aussi pour les filles. Enfant, j’aurais tellement aimé faire partie de la chorale des « Petits chanteurs à la Croix de bois ». Encore là, il n’y en avait que pour les garçons. A part cela, ce qui vient d’être dit sur le besoin d’un apprentissage solide me va parfaitement.

    • Il semble qu’ils cherchent à acheter une autre maison à côté, pour accueillir les filles. L’été, c’est mixte mais pour la scolarité, on ne peut pas avoir un internat mixte. Visiblement c’est là qu’est le souci. Il n’y a pas de ségrégation anti-femmes, juste une question logistique qui empêche qu’on ait des mineurs des deux sexes dans le même internat. Car ils prennent des mineurs visiblement.

  5. savoir qu’il existe encore un lieu à l’abri de la décadence sociétale rassure en effet, pourvu qu’il soit préservé suffisamment longtemps pour que renaisse un jour les savoirs mis en sourdine.

    • Pendant quelques siècles, il y a fort longtemps , durant la période dite du Moyen Age obscur, des hommes, retirés dans des couvents et des abbayes, se sont acharnés à conserver et faire vivre la culture latine. Ils étaient des ilôts de connaissance, d’humanisme et ont pu sauver l’essentiel et le transmettre à leurs successeurs. Aujourd’hui, dans un monde frelaté qui vit au jour le jour, sans espoir dans l’avenir, coupé de la Foi, subsiste donc un ilôt qui préserve l’essentiel, une culture humaniste, et d’où pourrait renaître la civilisation qui a disparu.

      • Oui, mais des monastères il y en avait dans toute l’Europe, alors que là, ils sont 40… On peut avoir l’espoir chevillé au corps, mais ça sent le roussi quand même pour la culture européenne …

  6. Ce qui fait le plus plaisir, latin ou non, c’est le respect des enfants. Ils ne servent pas de cobaye pour expérimenter des théories fumeuses (et funestes) de quelques intellectuels hors sol.

  7. Lors de la séparation de l’Église et de l’État, de nombreuses congrégations religieuses fermèrent leur(s) établissement(s), et partirent à l’étranger, dans le Nord de la France, c’est la Belgique qui accueillit la majorité de ces congrégations.
    Comme nombre des garçons de ma génération (les honnis boomers), j’ai poursuivi mes études dans ces établissements, jusqu’à l’université catholique de Louvain.
    En dehors du cursus normal, le grec et le latin étaient au programme, même aujourd’hui ça aide encore.
    Le sport, les sports devrais-je dire, occupèrent une grande place dans notre vie quotidienne, ainsi que la musique sous différentes formes.
    Des enseignants qui s’épanouissaient autant que les élèves.
    Des dirigeants religieux exigeants.
    Levé 6H00, couché 20H30, journées très remplies.
    Je suis peut-être, sûrement même, un privilégié, quoi que, nombre de familles aisées payaient les études de garçons de famille plus pauvres, c’était normal, et aucune de ces familles généreuses ne pensait alors à déduire cette générosité de ses impôts…
    La majorité des élèves étaient catholiques, d’autres protestants, juifs, et même quelques musulmans. Tous ce petit monde assistait à la messe le vendredi à midi, avant de rentrer à la maison pour le week-end.
    Encore aujourd’hui, s’il n’y avait qu’une seule chose pour laquelle je me devais de remercier mes défunts parents, père vieille famille catholique, mère juive, c’est de m’avoir donné cette belle jeunesse, études, sports, musique.

    • C’était à Étaimpuis ?
      Et Louvain, c’était Louvain la Neuve, ?
      Beaucoup de mes copains d’enfance sont passés par là, dans les années 56/67 … je crois que nous sommes de la même génération… ou pas loin…

  8. À coup sûr cette école aura bientôt droit à un reportage à charge de « Complément d’enquête « . Mais savoir que ce genre d’établissement existe redonne un peu d’espoir.

  9. Chère professeur, fut un temps ou je parlais couremment le latin, l’intérêt du latin, esprit analytique, et je dois dire que cette langue m’a été utile dans mes études de médecine, ayant commencé ma carrière par l’enseignement de l’anatomie (purge des chirurgiens), je signale que la nomenclature internationale de l’anatomie est en Latin.

    • Oui, Le latin m’a servi pendant mes études. Et même aujourd’hui, il m’arrive de regarder sur mon Gaffiot, plutôt que sur un dictionnaire français. Le grec m’a également servi, même si j’ai arrêté plus tôt.

  10. Magnifique !
    A quand le même type de sanctuaire pour les jeunes filles, éprises elles aussi d’authenticité originelle ?

  11. Merci pour cet article qui amène une vraie bouffée d’oxygène , qui fait plaisir et nous prouve que tout n’est pas perdu , que certains sont capables d’enseigner les valeurs dans un cadre serein , ce qui n’est plus le cas dans bon d’établissement scolaire aujourd’hui .

  12. Merci pour votre texte.
    Et, en vous lisant, je fais encore les liaisons contrairement à tous ceux que j’entend chaque jour à la tv.
     » Un monde inculte  » et bel et bien lobotomisé malheureusement.
    Vive l’Écriture Française.

  13. « À l’Accademia Vivarium Novum, on a l’humilité de reconnaître que les Anciens se sont posé toutes les grandes questions qui nous tourmentent et que les réponses qu’ils leur ont apportées ne sont pas dénuées d’intérêt. » tout est résumé dans cette phrase. Si la grande majorité du peuple en est bien conscient, qui chez ceux qui ont décidé de prendre le destin de notre France en main, auront envie de l’appliquer. Merci madame Fontcalel de nous rassurer qu’il existe encore un lieu où les valeurs de notre culture existent encore.

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