[VIVE LA FRANCE] L’art des belles tables : tellement français !

@Patricia Colmant
@Patricia Colmant

Une belle nappe de Noël Linvosges, de l’argenterie Puiforcat ou Christofle, des verres de la cristallerie Saint-Louis ou Baccarat autour de jolies assiettes en porcelaine de Limoges Bernardaud ou Haviland, l’art de la table à la française est une tradition royale que la république n’a jamais dénoncée, bien au contraire. La table de l’Élysée ou celle du Sénat suscitent l’émerveillement des hôtes de la France. Élégance, luxe discret, raffinement dans la moindre petite salière argentée dont les éclats se reflètent dans le verre de cristal taillé aux mille facettes : la princesse sait recevoir et n’en a pas l’exclusivité. Voilà un apanage bien partagé chez nous où l’amour des belles tables va de pair avec la bonne table, ces deux biens précieux de notre patrimoine se retrouvant lors des fêtes de fin d’année. Joli décorum en rouge et vert pour Noël, n’en déplaise aux laïcards qui se contenteraient volontiers d’un rouge communard exclusif. Blanc et liseré d’or ponctués du vert du gui à la Saint-Sylvestre, tables familiales ou amicales : l’occasion est trop belle pour ne pas mettre les petits plats dans les grands. Les belles tables et ce qu’elles offrent ont toujours été un élément porteur clé de la fête à la française.

C’est un secteur manufacturier dont le savoir-faire porté par un esprit de créativité générateur d’innovation est séculaire. Et où, Dieu merci, nos brillants énarques ne sont pas allés mettre leur nez de rationalisateurs et de délocalisateurs, histoire de faire des économies sur le coût de la main-d’œuvre.

La porcelaine de Limoges y reste bien ancrée depuis le XVIIIe siècle et la prise de contrôle, ce mois-ci, de Haviland, fondée en 1842, par Bernardaud, autre porcelainier voisin, fondé en 1863, est un gage du dynamisme de ce fleuron français. Bernardaud est une entreprise familiale où la sixième génération s’apprête à prendre le relais. Michel, l’actuel PDG toujours à la manœuvre, s’appuie de plus en plus sur son fils Charles, polytechnicien et désormais directeur général des deux entités. « Haviland continuera de produire ses collections dans ses ateliers » avec ses 90 salariés, assure la manufacture, dans un communiqué. Ce contrôle est une chance, pour Bernardaud, « d’accroître sa puissance industrielle grâce au savoir-faire et aux compétences complémentaires de Haviland », nous précise l’entreprise qui compte 650 salariés. Bernardaud, entreprise plus dynamique et créatrice que sa doyenne, mais cette dernière dispose d’un joli patrimoine à mettre en valeur. Cette association devrait permettre de le faire.
Le fils Charles, à la différence de son père qui a repris les rênes de l’entreprise en 1994 à la disparition brutale et accidentelle de son père « par devoir familial », avait-il déclaré dans une interview à FR3, est tombé dans la porcelaine tout petit.

Attaché à l’entreprise comme à ce patrimoine du savoir-faire français, il a senti l’évolution du marché qui touche aussi l’orfèvrerie. Fini la liste de mariage avec ménagère et service quatre pièces pour douze couverts. Les jeunes ménages optent pour un service Ikea, pourvu que la liste prévoie un voyage exotique avec saut à l’élastique ou plongée parmi les requins… À chaque époque ses plaisirs.

Conscientes de cette évolution, ces maisons ont su se réinventer en proposant des objets de décoration, dessinés par des artistes de renom. Et heureusement, les marchés moyen-orientaux, voire américains, restent bons clients. Le jeune bijoutier qui fonda Christofle en 1830 eut la bonne idée d’acheter, en 1842, les brevets de dorure et argenture par l’électrolyse. Une révolution qui assura à l’époque, à cette modeste usine de Bondy, un réel essor qui perdure dans son actuelle usine de Yainville (Seine-Maritime). D’autant qu’au milieu du XIXe siècle, la bourgeoisie comprit que la belle table pouvait être aussi un moment essentiel de sociabilité. Très vite, Christofle se positionne comme le fournisseur privilégié des grands hôtels, restaurants, des ambassades et autres tables du pouvoir. La commande de Napoléon III, en 1852, de cent couverts pour le palais des Tuileries, soit 4.700 pièces, fut un soutien précieux de l’empereur au progrès de l’industrie, et en particulier à cette manufacture d’orfèvrerie. Un service qui, au demeurant, partit en fumée dans l’incendie du palais, en 1871, à l’exception du monumental surtout (pièces de décorum posées au centre de la table) visible au musée des Arts décoratifs qui consacre une exposition à Christofle jusqu’au 20 avril prochain.

Fortes de cette tradition, ces entreprises du patrimoine vivant, membres du Comité Colbert qui réunit près d’une centaine de maisons de luxe, « pour promouvoir passionnément, transmettre patiemment, développer durablement les savoir-faire et la création française pour insuffler du rêve », ont su, par leur créativité, se repositionner au fil des décennies au gré des modes, des envies, des talents. C’est une des richesses du génie français. Et même les jeunes sont heureux pour les fêtes de retrouver le service de la grand-mère !

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Patricia Colmant
Journaliste indépendante

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