Voile à l’EHPAD : à Vesoul, on perd la boule !
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Il y a, dans cette histoire abracadabrantesque, tous les ingrédients d’une chanson de Jacques Brel : Vesoul, et puis une sœur, à moins que ce ne soit une mère : la presse ne précise pas comment il faut l'appeler.
Mais le décor, lui, n'est pas de 1968. Il faut être en 2019 pour imaginer interdire une vieille religieuse de maison de retraite publique au motif qu’elle porte un voile. Le maire, Alain Chrétien (!), à travers une mise au point bien sentie, a exprimé ses regrets, mais les faits - violents, imagine-t-on, pour une religieuse âgée qui porte l’habit depuis tant d’années - sont symptomatiques de l’insondable confusion des esprits dans notre pays.
Au-delà du fait qu’elles ne s’appliquent pas en l’espèce - il s’agit d’un habit religieux, porté en outre par un usager et non un employé -, nos lois sont, en réalité, schizophrènes : leur seul objet est de lutter contre les coups de butoir de l’islam politique - dont fait partie le voile islamique -, mais leur contenu est tout autre. Comment s’étonner de leurs folles interprétations ?
On a tourné autour du sujet, le circonscrivant mal pour ne pas stigmatiser, et de périphrase en circonlocution, on a inscrit dans le périmètre toute une population qui n’avait rien à y faire.
Décontextualisé, un voile n’est rien de plus qu’un couvre-chef porté dans l’espace public - à quand une cancéreuse arborant le turban d’Arletty refusée en soins palliatifs dans un hôpital public ? Il n'est pas jusqu'à l’expression « dissimulation du visage public dans l’espace public » (loi de 2010) qui ne soit pas inadaptée. Visait-on, ainsi, le masque en papier que portent les Chinoises hypocondriaques en visite à Paris ?
On peut en dire autant de la barbe - Christophe Castaner a, du reste, essuyé assez de moqueries sur la sienne après les attentats de la préfecture - et même de la poignée de main : untel, après tout, peut avoir les paumes moites et, très complexé, les garder au fond des poches, un autre la phobie irrépressible des microbes… Les pièces d’un puzzle, isolées les unes des autres, n’ont aucune signification. C’est en les rapprochant que l’on distingue le motif.
« Les signes religieux ostentatoires » (loi de 2004) recouvraient, en réalité, dans la tête du législateur une seule réalité : le voile islamique en pleine expansion. Sauf que par beaucoup de couardise, un peu d’anticléricalisme, et peut-être par force, pour être agréé par le Conseil constitutionnel, ce n’est pas ainsi qu’il l’a exprimé. Le raisonnement sophistique est simple : puisqu’ils relèvent tous deux d’une religion, les deux voiles ont la même signification. Sœur Agnès ou Mère Marie-André, selon toute probabilité, ne sont pas en voie de radicalisation, ou bien seulement dans l’amour du Christ, chose qu’elles n’expriment que devant le tabernacle. Elles ne nécessitent nullement d’être fichées S et ne sont pas, de toute évidence, un danger pour la République… celles qui portent le voile islamique, par conséquent, ne doivent faire l’objet d’aucun soupçon. Et a contrario, si on interdit le voile aux unes, on l’interdit aux autres.
Cette stricte égalité est à la fois un mensonge et une impasse. Un mensonge parce qu’évidemment, comme l’a souligné récemment l’historien Tom Holland, fort célèbre au Royaume-Uni, dans son livre Dominion (sous-titré La Fabrique de l’esprit occidental), le christianisme, qui n'entretient pas le même rapport que l'islam avec la laïcité pour la bonne raison qu'il l'a lui-même inventée (« Il faut rendre à César... »), est consubstantiel à notre société et a, à ce titre, une place singulière. Une impasse parce que ce mode raisonnement nous forcera à terme, comme cela a commencé à Amsterdam (toujours Brel !), le 15 novembre dernier, à laisser non pas les marins mais le muezzin chanter du haut du minaret (selon La Croix, « la municipalité a finalement donné son accord pour un appel à la prière hebdomadaire, chaque vendredi, estimant que cela relevait de la liberté religieuse, tout comme les églises chrétiennes ont le droit de sonner la cloche le dimanche »)… où à faire taire à jamais nos clochers multiséculaires, comme on a tenté de dépouiller de son voile cette religieuse âgée.
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