Voltaire, s’il vivait encore, écrirait sur Boulevard Voltaire

Ce 30 mai, on commémore le 240e anniversaire de la mort de Voltaire, qui a donné son nom au site Boulevard Voltaire. Non pas que ce philosophe fût en tout admirable, mais on ne peut lui dénier sa lutte incessante pour la liberté d’expression, ni son ironie qui fait la force de sa plume.

Il y a chez ce grand bourgeois une sorte de vanité déplacée. On évoque rarement son mépris pour ce qu’il nomme la « populace ». Quand il écrit, dans une lettre du 1er juillet 1766 à Damilaville, "Je doute que cet ordre de citoyens ait jamais le temps ni la capacité de s’instruire" ou "Il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants", il semble se situer plus dans le camp des « héritiers », dénoncés par Bourdieu deux siècles plus tard, que dans celui des émancipateurs par l’instruction.

On ne peut contester, en revanche, qu’il ait toujours combattu contre l’intolérance et pour la liberté d’expression. On cite souvent en exemple le Traité sur la tolérance, à l’occasion de la mort de Jean Calas (1763) : on évoque moins, de nos jours, son Mahomet, tragédie qui illustre le fanatisme de l’islam. Aucun professeur de français ne s’aventurerait, aujourd’hui, à étudier cette pièce avec ses élèves, même s’il généralisait son interprétation. Inutile d’expliquer pourquoi.

Quant à la liberté d’expression, on attribue souvent à Voltaire la fameuse phrase "Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire", qu’il n’a jamais prononcée. Mais il a, en maintes occasions, défendu ceux qui étaient attaqués pour leurs écrits, ne partageât-il pas leurs idées. Ainsi, il apporta son soutien au philosophe Helvétius, violemment critiqué, bien qu’il n’approuvât pas "les erreurs de son livre".

C’est cet attachement à la liberté d’expression et à la tolérance qu’on retrouve dans Boulevard Voltaire. Une pensée qui ose réfléchir et rechercher la vérité, sans prétendre la détenir, au lieu de se conformer aux règles de la bien-pensance auxquelles obéissent trop de médias : le prêt-à-porter permet de s’habiller à moindres frais, pas de penser par soi-même. Une pensée qui interpelle, qui appuie là où ça fait mal, qui incite à se questionner, à se faire une opinion, à sortir des sentiers battus du conformisme.

La parenté de Boulevard Voltaire avec le philosophe des Lumières, on la retrouve aussi dans l’esprit voltairien et dans l’ironie qui fut une de ses principales armes : dans l’art de faire entendre le contraire de ce qu’on dit, dans l’interrogation faussement naïve, dans la façon de porter des coups à l’adversaire imbu de lui-même, qui se prend trop au sérieux.

Les détracteurs de Boulevard Voltaire, le plus souvent sans le lire, s’auto-fanatisent en refusant d’entendre un point de vue autre que le leur. Ils ne cherchent pas à approcher la vérité qui surgit souvent de la confrontation d’idées. Ils croient avoir l’esprit libre alors qu’ils sont embourbés dans les préjugés et ne savent que répéter, comme des perroquets, les slogans à la mode.

Ne pas penser systématiquement comme les autres, fussent-ils la majorité, cela veut dire simplement que l’on pense librement. Si Voltaire vivait encore, il est probable qu’il ne dédaignerait pas d’écrire sur Boulevard Voltaire pour dénoncer, à notre époque, les absolutistes de tout poil, les obscurantistes, les hémiplégiques de la pensée.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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