[VU D’ARGENTINE] Les véritables ennemis de Javier Milei

À l’arrivée au pouvoir du général Péron en 1946, le PIB par habitant de l’Argentine la plaçait dans le top ten mondial. Elle en est réduite, aujourd’hui, à un humiliant 70e rang. Nous ne le dirons jamais assez : record toutes catégories pour un pays n’ayant connu ni guerre significative, ni cataclysme épouvantable, ni invasion….
« Un pays capitaliste soumis à un appareil d'État néo-communiste »
Certains analystes ont résumé la situation par ces mots : « L’Argentine est toujours un pays capitaliste, mais soumis à un appareil de l’État néocommuniste. » La remarque est juste et l’État argentin pré-Milei était devenu un monstre adipeux et incontrôlable. En plus, dans un pays fédéral, chaque province dispose des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) pour parfois moins de 400.000 habitants. Cela peut produire des résultats ubuesques comme la province de Formosa, dans le nord du pays, qui est dirigée, depuis plus de trente ans, par un caudillo particulièrement répugnant et où l’emploi public dépasse les 70 %. Tout cela entraîne, évidemment, une funeste superposition d’impôts et des effets castrateurs pour l’activité économique, d’où le score annoncé ci-dessus.
Pour survivre devant l’adversité, les Argentins ont inventé ce que l’on appelle couramment le « curro » Ce mot a plusieurs acceptions, suivant la Real Academia Española, mais en langage local, on pourrait le définir de la manière suivante : « Combine tendant à se procurer un avantage juteux par tous les moyens, même légaux… » Il y a même un verbe et des millions d’Argentins « curran ». Après le football, c’est le second sport national.
Le sport national : le « curro »
Cela, à tous les étages de la société. Commençons par le bas. Les soupes populaires et subsides aux indigents, qui étaient organisés par ce que Milei appelle les gérants de la pauvreté, sorte d’organisations mafieuses qui distribuaient une part modeste des fonds ou aliments, se réservant le plus gros pour leur propre poche. Que dire des millions de retraites ou pensions distribuées moyennant finances, sans aucun justificatif, du trafic de médicaments dans les hôpitaux, notamment pendant la pandémie, des fausses factures de tout poil ? La liste est interminable.
Dans l’administration publique, deux voire trois emplois étaient monnaie courante et, chose encore plus grave, certains petits fonctionnaires détenant une parcelle de pouvoir de décision se voyaient tentés d’exiger un péage pour ne pas bloquer ou pour accélérer une gestion. Immatriculer une voiture neuve pouvait relever du parcours du combattant, avec une partie du paiement exigée en espèces, sans parler, pour les grosses huiles, des appels d’offres systématiquement vermoulus dans les travaux publics….
Au niveau des grandes entreprises et hauts fonctionnaires, le « curro » pouvait prendre une tout autre dimension. En effet, la Justice argentine ne fait pas preuve de férocité pour poursuivre le délit d’initié. Dans un pays qui a vécu des inflations mensuelles atteignant souvent deux chiffres et, donc, de violentes dévaluations périodiques, il était si facile de placer des avoirs en pesos à très court terme à des taux faramineux et passer en dollars au moment où l’on « sentait venir » une correction du taux de change. À condition d’être bien informé, le système fonctionnait très bien ; c’était même sportif, cela s’appelait de la bicyclette financière. Joli « curro ».
Milei monte à l'assaut
À son arrivée aux affaires, Péron avait créé de l’industrie lourde, métallurgique, automobile, pétrolière, transport... Et, pour ce faire, installé une protection douanière considérable. Comme cela coûtait fort cher, il avait trouvé l’argent dans les poches du seul secteur efficace, à savoir l’agriculture et l’élevage, en imposant des droits d’exportation sur les différents produits. Cette pratique détestable, honnie des agriculteurs, encore en usage aujourd'hui, avait atteint, pendant l’époque du président Alfonsín le chiffre confiscatoire de 50 % pour le produit phare : le soja. On en était encore à 33 %, à l’arrivée de Milei ; il vient de le baisser à 26 %.
Et c’est bien là un vrai problème. Baisser les impôts et faire sauter cet immense « curro » faussement protecteur d’entreprises médiocres en ouvrant le marché à la concurrence et en baissant prudemment les droits de douane. Tâche complexe, surtout quand les industriels prébendaires sont déjà tout larmoyants. Le taux de change actuel leur paraît trop faible… eh oui ! Javier Milei ne se laissera pas impressionner et la tronçonneuse monte à l’assaut de ses véritables ennemis : les « curros ».
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Un commentaire
Autant dire qu’il a du pain sur la planche, Javier Milei… et beaucoup d’ennemis, donc.