[L’ÉTÉ BV] [Wokisme] Au Prado, la chasse aux nains est ouverte

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Cet article vous avait peut-être échappé. Nous vous proposons de le lire ou de le relire.
Cet article a été publié le 11/02/2024.

Tout l'été, BV vous propose de relire certains articles de l'année écoulée. Ici, des nouvelles de notre civilisation.

Le bruit courait sur les réseaux sociaux que les célèbres Ménines de Vélasquez allaient être retirées des cimaises du Prado. Il n’en est rien. C’était une extrapolation. La réalité est autre : le Prado est en pleine réécriture des titres, cartels et notices des tableaux, dont celle des Ménines, pour en extirper les termes « offensants ». Se reconnaît à cette pruderie du langage un trait du wokisme. On lisse, on abolit… on appauvrit.

Les musées espagnols veulent se mettre en accord avec l’article 49 de la Constitution. Dans sa rédaction antérieure, il parlait de l’inclusion des « personnes déficientes » (« los disminuidos », « les diminués »). La mouture nouvelle, votée le 18 janvier, parle des « personnes avec handicaps » (« Las personas con discapacidad »). Soit.

Si les musées Reine Sofia et Thyssen Bornemisza assurent que leurs notices ont depuis longtemps été expurgées des termes déplaisants, le musée du Prado fait figure de mauvais élève et s’est attelé à la tâche. Ainsi la description du Portrait du prince Don Carlos, par Alonso Sánchez Coello, dont le texte indiquait que la pose et le vêtement « cachent la déformation du dos ». Corrigé, il dit juste qu’ils « cachent le dos ». Sacré progrès, sachant qu’il demeure précisé que le prince avait « de graves handicaps physiques et psychologiques qui pourraient être dus à la consanguinité de ses parents ».

Le nain, ce problème de taille

Ce qui donne le plus de fil à retordre aux équipes du musée du Prado ? Le nain, ou plutôt les nains. Voilà une minorité sur-représentée dans la peinture espagnole. Ce genre à part entière reflète le goût de la cour aux XVIe et XVIIe siècle pour ces personnes. On en a peint avant et après Vélasquez, mais les plus extraordinaires portraits sont ceux du maître. Si le terme nain était offensant, ces toiles suffiraient à le magnifier. L’artiste a donné à des personnes disgraciées une présence magnifique, leur a rendu toute l’intensité de leur humanité. Ce faisant, il était à l’opposé de l’art académique d’une beauté idéale qui prévalait dans la peinture italienne. Vélasquez révéla la beauté cachée des difformités, ou que ces difformités cachaient. Voilà ce qu’il serait judicieux de mettre en avant, plutôt que de s’aligner sur « la sensibilité actuelle », comme s’y active Ana Martin, responsable du service Documentation et Archives du Prado.

Vélasquez, Le bouffon El Primo, ou: ceci n'est pas un nain! (Musée du Prado).

Dans la description des Ménines, le Prado a gommé le mot « nains » qui caractérisait Maria Barbola et Nicolasito Pertusato. Contrairement au héros de la nouvelle de Marcel Aymé, ils n’ont pas grandi. Nains ils étaient, nains ils restent. Mais… il ne faut pas l’écrire.

Le wokisme, une bouffonnerie ?

En fait, il faut supprimer toute allusion au nanisme. Le bouffon El Primo était décrit ainsi depuis toujours : « Le portrait assis, avec les jambes face au spectateur, souligne la petite taille du personnage. » La nouvelle version n’en parle plus. Par ailleurs, « bouffon » est très pratique. Comme c’était souvent, sinon toujours, le métier des nains, on remplace nain par bouffon et le tour est joué. On obtient ainsi Bouffon avec un chien (tableau jadis attribué à Vélasquez), Portrait d’un bouffon (tableau de Hamen y Leon). Réducteur, dites-vous ?

Le wokisme étant international, le musée de Boston fait de même. Le Vélasquez connu sous le titre Portrait du prince Baltasar Carlos avec un nain a été retitré Portrait du prince Baltasar Carlos avec un compagnon. La description du tableau maintient qu’il s’agit d’un nain. Comme dans les contrats d’assurance, ça ne compte pas, puisque c’est écrit plus petit.

En janvier 2022, un acteur nain, Peter Dinklage, s’en était pris à Disney qui, du coup, prépare une version de Blanche-Neige sans ses acolytes habituels. Ils seront remplacés par sept « créatures magiques », ce qui fit hurler d’autres acteurs nains à qui on vole de la sorte les rares rôles faits sur mesure pour eux. Exit les nains des contes, des films et, désormais, de la peinture. Au nom de l’inclusion… l’exclusion. Qui dira la nocivité extrême du wokisme ?

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

33 commentaires

  1. Il n’y a plus de « sourds » ni d' »aveugles » seulement des « mal-entendants » et « mal voyants ». Allez comprendre! Il y aura bientôt des « mal-comprenants » à force de subir des lavages de cerveaux…

    • Eh oui…! Et pourtant…,  » Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde »… Albert Camus
      Personnellement je continuerai d’appeler un chat, un chat !

  2. Le mot de la fin est emblématique du wokisme . L’inclusion c’est l’Exclusion : cacher moi ce qui n’est pas conforme ce que je ne saurais voir où admettre

  3. J’ai entendu un acteur atteint de nanisme , protester vigoureusement contre cette nouvelle lubie woke . Il se plaignait de se sentir invisibilisé et craignait de ne plus trouver de rôles au cinéma, lui qui avait réussi à faire d’un handicap, une force .

  4. Ceux qui n’osent pas nommer « nain », « aveugle », « vieux », soulignent combien pour eux ces caractéristiques humaines devraient être ostracisées. C’est participer à leur dévalorisation. Je n’hésite jamais à nommer normalement les êtres, ça participe au respect qui leur est dû, comme à tous.

  5. Ce wokisme est contre-productif, il ne fait que s’interroger un peu plus, porter une attention particulière à des faits, des images des écrits qu’en d’autres temps ils nous auraient parus évidents. Il ne pourra jamais empêcher nos enfants de poser des questions, mais qu’elles seront les réponses apportées par cette génération woke.

  6. Grâce aux progrès de la science et de la médecine les personnes souffrant de handicap à la naissance sont de moins en moins nombreuses. Moins nombreuses également qu’à l’époque de Velasquez. Et c’est tant mieux.
    Les conservateurs de musée doivent transmettre au grand public l’amour du beau et de l’art, mais ils ont également pour mission de faire comprendre qu’un tableau, une statue, etc. sont le fruit des idées de leur temps et de la manière dont les gens de ces époques percevaient le monde.
    Essayer de calquer les idées de notre époque (surtout les idées woke, donc les idées les plus c… de notre époque) sur des oeuvres du passé n’a rigoureusement aucun sens. Et ce faisant, les conservateurs trahissent leur mission.

  7. Oui le wokisme est une bouffonnerie . Et là ils insultent publiquement des personnes sans que personne ne s’en offusque . Allo Allo les droits de l’homme et autres associations on ne vous entend pas sur ce sujet .

  8. je récapitule… aujourd’hui selon les codes de la société, il n’est pas bien vu d’usiter des mots tels, clochard, vieux, homme/femme, nain, black, handicapé , androgyne… Par contre, il est bon ton de dire les mots suivants : SDF ou sans domicile fixe, personne âgée, personne non-binaire, personne à la verticalité contrariée, personne de couleur sombre, personne en situation de handicap, personne genderfluid… et demain ? la créature magique grincheuse, la créature magique enrhumée, la créature magique à qui il manque une case etc.

  9. Quelle stupidité, il y aura toujours des nains, Dame nature faisant ce que bon lui semble. C’est en plus une injure aux artistes, à l’art en général, et à l’histoire qui les reconnaissait et leur accordait une place auprès des « Grands » de ce monde. Ce wokisme me révolte, et encore plus ceux et celles qui se mettent à plat ventre devant. Ces gens ne sont pas à leur place dans les musées

    • Non puisque c’est « réducteur » d’en parler ! Que voulez-vous chaque handicap est une pauvreté mais d’une seule on peut espérer guérir : c’est le manque de capacité à aimer.

      •  » d’une seule on peut espérer guérir : c’est le manque de capacité à aimer ». En voyant ceux qui acquiescent à l’eugénisme, pour ne plus voir ceux qui les gênent, et pour les autres parce qu’ils se sentent indignent de vivre, alors que parmi eux, il y a des âmes bien plus dignes de vivres que certaines personnes se prenant pour des élites, j’ai un grand doute sur le fait qu’on puise guérir du manque de capacité à aimer : s’aimer soi, même si on se sent différent, et aimer les autres, même s’ils sont différents de nous. (je passe sur le fait de ne pas aimer les suppôts de satan)

    • Excellent !
      Mais où va ce monde qui utilise des phrases à la place d’un mot ?
      Il faut bien dire que nos zélites sont très forts pour transformer la langue et les valeurs, ceci cache sans doute leur incapacité à régler les problèmes du quotidien qui envahissent notre société…

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