Xi Jinping à Moscou : la périlleuse voie du milieu

pdts russe et chinois

De la communication, toujours et encore de la communication. Le président chinois se rend à Moscou ; vite, envoyons le Premier ministre japonais en visite surprise à Kiev ! Ne vous y trompez pas, bonnes gens, l'Asie est aux côtés de l'Ukraine. « Le Premier ministre Kishida soutient la liberté et Xi soutient un criminel de guerre », a déclaré Rahm Emanuel, l'ambassadeur des États-Unis au Japon. Il ne faudrait pas, en effet, que les opinions publiques cèdent au chant des sirènes pékinoises appelant à une résolution négociée du conflit. La guerre doit rester notre seul horizon puisque, on nous le répète, nous faisons face à la lutte du Bien contre le Mal.

Vingt ans après l’invasion américaine de l’Irak, le néo-conservatisme a encore bonne presse et l’Amérique messianique ne doute toujours pas de sa « destinée manifeste ». En mars 2021, lors de son premier grand discours consacré aux orientations stratégiques de l’administration Biden en matière de politique étrangère, le secrétaire d’État américain Antony Blinken expliquait que le leadership américain était important pour le monde car celui-ci ne savait pas s’organiser par lui-même. Il ajoutait que l’Amérique avait « une plus grande capacité que n'importe quel autre pays sur Terre à mobiliser les autres pour le bien commun ».

Et peu importe les 500.000 morts liés au conflit en Irak, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Quant à George Bush, il ne sera jamais convoqué devant la Cour pénale internationale. C’est l’avantage du « double standard » occidental : plutôt appliquer aux autres qu’à soi-même ses nobles préceptes. On ne s’étonnera donc pas que la Chine trouve aujourd’hui du côté du « Sud global » des oreilles attentives. Notre parole comme nos leçons de morale se sont démonétisées.

De l’Afrique au Moyen-Orient en passant par l’Amérique du Sud, Pékin en profite pour tisser sa toile, patiemment. Et, loin de rester passive face à la volonté américaine de l’endiguer, elle déploie actuellement une habile contre-offensive diplomatique afin de prendre ses adversaires à revers. Il faut se rappeler que ce n’est pas aux échecs que jouent les Chinois mais au wei-ch’i (jeu de go), un jeu d’encerclement. Mao s’en est d’ailleurs beaucoup inspiré pour élaborer sa stratégie de guerre populaire prolongée.

Aujourd’hui, ses héritiers sont à la manœuvre. Face aux Américains qui concentrent leurs efforts tout au long de leur frontière maritime, les Chinois ne se laissent pas enclaver mais, bien au contraire, cherchent à déborder stratégiquement leur adversaire en jouant sur d’autres parties du damier, là où ils perçoivent un vide ou un affaiblissement qui leur permettra d’étendre leur influence. Au Moyen-Orient et en Ukraine, par exemple.

Et c’est peut-être à partir de là qu’il faut comprendre l’initiative de paix chinoise, en gardant à l’esprit qu’il n’y a pas que l’espace sur lequel chacun rivalise qui est stratégique. Le temps l’est également. « Quand il y a une occasion de négocier, quand la paix peut être obtenue, saisissez-la. Saisissez le moment », avait conseillé aux Ukrainiens le chef d’état-major de l’armée américaine, le général Milley, au début de l’hiver. On peut penser qu’il entrevoyait déjà l’évolution de la configuration des forces en présence avec la montée en puissance du dispositif russe. Ni l’administration Biden ni Kiev n’ont voulu saisir l’occasion du moment.

Les Chinois en profitent aujourd’hui pour exploiter le potentiel d’une situation qui ne semble pas favorable à l’Ukraine ni à ses alliés. Le 9 mars dernier, le média japonais Nikkei Asia rattachait l’initiative de paix de Pékin à son évaluation de la dynamique du conflit. « La visite en Russie ne peut pas arriver trop tôt ou trop tard », avait déclaré au média une source bien informée au sein de la diplomatie chinoise. Car d’après une simulation réalisée par l’Académie chinoise des sciences militaires, la guerre devrait prendre fin vers l'été 2023, la Russie ayant le dessus.

Au vu de cette hypothèse, le printemps serait donc le meilleur moment pour se positionner en articulant deux objectifs. Premièrement, s’assurer que Moscou tient bon. Adossées l’une à l’autre, la Russie et la Chine partagent un défi stratégique commun : briser le dispositif d’encerclement américain et mettre un terme au monde unipolaire issu de la fin de la guerre froide.

Dans le même temps, la Chine commerçante affiche sa neutralité afin d’échapper aux sanctions et à l’isolement économiques que l’Occident impose à la Russie. Dans un contexte de montée des tensions avec les Américains, qui cherchent à enrôler derrière eux les Européens, elle prend désormais appui sur le succès de l’accord irano-saoudien pour se présenter sur la scène internationale comme un artisan de paix en Ukraine et, a contrario, faire apparaître Washington comme un fauteur de guerre jusqu’au-boutiste qui précipite le monde dans un chaos géopolitique et économique. Loin de s’arc-bouter sur ses frontières, la Chine déplace ainsi ses pions dans sa périphérie eurasiatique où elle perçoit les difficultés grandissantes de son adversaire qui, depuis Washington, s’efforce de contenir son intrusion.

« Nous pouvons transformer une grande campagne d’encerclement dirigée contre nous en un certain nombre de petites campagnes d’encerclement séparées menées par nous contre l’ennemi », écrivait Mao. Son successeur actuel semble ne pas l’avoir oublié.

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

16 commentaires

  1. « nous faisons face à la lutte du Bien contre le Mal. »
    Exact, mai qui représente le bien, qui représente le mal?

  2. La Chine est, a ce jour, le seul pays qui ait proposé une amorce de plan de paix + un cessez-le-feu pour ce conflit. Ca ne semble pas faire plaisir aux va-t-en-guerre irresponsables qui sembleraient preferer une accélération du conflit afin de permettre plus de ventes d’armes ( américaines of course)

  3. La Russie, la Chine, sont deux Pays différents, mais leurs citoyens me semblent proches dans la conception de l’unité de leur Pays. Actuellement, l’équilibre des forces penchent plutôt vers l’ASIE, d’abord par le nombre, et le contributeur en matériaux serait la Russie. Alors que l’Amérique reste une puissance mondiale, mais avec des alliés, l’Europe en surcharge pondérale, et Sociétale qui diminue considérablement son efficacité. D’autant plus que l’Union européenne est chimérique. Cela ne correspond plus à AMERICA FIRST.

  4. Seule l’Europe persiste dans son aveuglement et poursuit sa destruction initiés par les US depuis 1945. S’ils n’avaient pas réussi jusqu’à maintenant c’est grâce à la politique du général poursuivie tant bien que mal par ses successeurs jusqu’à Chirac. Depuis c’est la descente aux enfers.

  5. Il ne fait pas bon vivre dans ces pays. Cependant il n’existe pas de mission divine pour les changer et, encore moins par la force. Quand les us ont mis sur pieds la révolution de 2014,ils ont mis en marche le compte à rebours de cette guerre. Que dirait biden si les russes ou les chinois finançaient un coup d’état au Mexique pour y installer un gouvernement favorable et des missiles? On a vu cuba. Le rôle des puissants est-il de ruiner les alliés en les entraînant dans les crises? Fin des années 30 les us ont contraint le Japon à pearl harbor. Ils attendaient cette guerre mais l’opinion publique était réticente. Après ce fut Facile.

    • Il faut être aveuglé par la mauvaise foi pour prétendre que c’est un coup d’État qui a amené Porochenko au pouvoir (ou qu’elle est dirigée par des nazis comme ceux qui paradent à Moscou).
      L’Ukraine est soudée dans sa haine de l’envahisseur, qui n’a jamais su semer autour de lui que des ferments de haine et qui n’est pas plus aimé en Chine qu’en Roumanie.
      Il finira éclaté et broyé et je m’en réjouirai, tant cet empire a été néfaste pour m’Europe et pour le monde.

  6. Je suis toujours étonné de lire sur des sites proclamant que la « liberté guide nos pas » des articles d’une telle indulgence envers des pays comme la Chine (ou la Russie). Les USA sont loin très d’être des saints (l’Irak nous l’a démontré). Mais prenons un peu de recul et posons-nous la question: Préférez-vous vivre en Chine, pays dans lequel le contrôle extrême de chaque individu et le manque de liberté d’expression ou de presse libre et patent, ou alors dans des pays occidentaux comme les nôtres ou les USA ? Que je sache, malgré les maux dont nous souffrons, nous bénéficions de plus de libertés que les Chinois, non ? Même remarque pour la Russie dont les opposants décèdent souvent de façon étrange. Pour tout dire, je ne trouve pas très « patriote » de tout le temps dire qu’en Chine ou en Russie c’est bien, et que chez nous tout est nul.

    • Ne pas oublier que les référendums en France, sont systématiquement foulés aux pieds par nos dirigeants, qu’aux USA le mouvement WOKE, n’est pas un exemple de probité et que le racisme anti blanc est très à la mode.
      Donc en matière de démocratie, ni la France, ni les USA n’ont de leçons à donner !

      • Bravo. C’est même pire ici en nous faisant croire que nous sommes en démocratie.
        Foutage de gueule de tous ces faux jetons.

      • La liberté en France? Regardez ce qui est inscrit : « Liberté.POINT. Égalité.POINT. Fraternité.POINT. Il faut savoir mettre les points à leur place!

    • Commentaire déplacé il n’est point question de s’aligner ni sur la Chine ni sur la Russie mais l’alignement sur les USA n’est pas meilleur pour l’Europe.

    • Ayant des amis criméens et russes (habitant en France pour raison familiale et/ou professionnelle, mais désirant retourner chez eux), leur discours n’est pas celui que vous pensez.
      Vladimir est adoré. Et ils estiment qu’en Russie, (ils ne parlent pas de l’ancienne URSS) il y a plus de liberté, plus de démocratie qu’en Europe et en France, et que ce pays a la chance d’avoir un président qui aime son peuple, et le défend, notamment sur le plan des mœurs, de la culture, en plus du plan sécuritaire.

      • C’est ce que je pense aussi. Votre commentaire remet la Russie à sa place. Aujourd’hui la France n’est pas exemplaire. La démocratie a été démolie et les français vivent sous la contrainte.

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