Yves Gautrey : « L’ambition d’Emmanuel Macron se résume à faire deux quinquennats, en attendant sa nouvelle vie à Bruxelles »
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Yves Gautrey, vous êtes un ancien conseiller du Commerce extérieur de la France et dirigeant de sociétés dans la high-tech industrielle. Vous vous êtes intéressé aux petites phrases d'Emmanuel Macron, au point de publier un ouvrage sur le sujet, Macronitudes, les maux de ses mots. Un travail minutieux et riche. Pourquoi cette passion pour les « bons mots » du Président ?
Le déclic de cette passion fut l’évidente connivence des influenceurs médiatiques mainstream à l’égard d’Emmanuel Macron ; et ce, depuis sa nomination comme ministre de l’Économie en août 2014.
Très vite, mon étonnement se transforma en questionnement lors de la campagne électorale 2017 : pourquoi un tel tapage pour un homme politique dont l’ambition programmatique semblait surréaliste. Comment s’imposait-il par de simples mots, un style, une posture, sans grande vision de son temps ni vrai programme. Et, surtout, qui pouvait bien se cacher derrière l’homme public « trop propre sur lui » que le courant de la bien-pensance emportait vers le sommet de l’État ? Puis vint la volonté de découvrir cette personnalité politique omniprésente, qu’on nous vendait si bien en 2017.
Aussi, plutôt que de l’écouter et risquer de tomber sous le charme d’un bagout sans fin, j’ai décidé, en 2018, de lire froidement tout Macron : le contexte de ses bons mots – que j’appelle des macronitudes – mais surtout ses discours, conférences, interventions, déclarations et, bien sûr, propos tenus hors micro. Quatre années de travail pendant lesquelles j’ai vécu en tête-à-tête avec Emmanuel Macron tout en gardant mes distances.
Rapidement, le premier abécédaire de citations jamais publié sur le personnage Macron, se transforma en une vaste extravaganza : une immersion totale dans l’univers du Président sous la forme d’un ouvrage à 360 degrés. J’y aborde, contextualise et commente tous les sujets de société, parfois burlesques et dramatiques, vécus depuis le début des années Macron. Le message que le Président m’adressa pour commenter ces trois tomes résume tout : « Un voyage baroque et personnel », c’est-à-dire une analyse exubérante, étrange, démesurée et sans doute trop intime pour le personnage. Drôle aussi.
Au delà des bons mots se cachent les vilains maux d’Emmanuel Macron : sa nature extrêmement prolixe permet de mettre à jour ses tactiques de communication, les ressorts dialectiques et les fondements de ses décisions ; ou de ses atermoiements. Aussi, les 1.200 citations d’Emmanuel Macron sont aussi l’occasion d’explorer les maux dont souffre notre société. Et le Président lui-même.
Emmanuel Macron s'est souvent signalé par l'emploi de termes comme « chevaucher un tigre », « poudre de perlimpinpin », qu'est-ce que cela révèle de la personnalité d'Emmanuel Macron?
Au delà des formules préparées, saillies organisées ou sous-entendus officiels, lire tout Macron, c’est vouloir comprendre ses préoccupations intimes. En effet, si toutes ses interventions publiques se veulent bien sûr performatives, les mots qu’il emploie construisent surtout la représentation du réel tel qu’il la ressent ; et donc ses idées et intentions du moment.
Le plus souvent, il suffit même de le lire pour savoir qui il est et où il nous entraîne : la présence ou l’absence de certains mots en dit long sur les maux des mots d’Emmanuel Macron : savez-vous, par exemple, que dans le discours fondateur de son quinquennat – celui du congrès de Versailles en juillet 2017 –, le Président ne prononça jamais les mots « concertation », « déclassement », « salaire », « rémunération », « pouvoir d’achat », « immigration », « migrant » ni même « violence », « prison », « insécurité » ou « police » ? Le mot « réforme » n’apparaîtra que 12 fois : cherchez l’erreur cinq ans plus tard ! À l’inverse, il emploiera 224 fois le mot « nous », 76 fois le mot « je ». En creux, on ressent son manque de vison et d’anticipation sur notre temps ; certains parleront même de manque d’empathie envers le peuple français ; d’ailleurs, lui-même le confirme en décembre 2021 avec cette expression saugrenue : « J’ai sans doute appris à mieux aimer les Français. »
Décrit comme l'homme de la mondialisation heureuse et de la start-up nation, Macron aura cependant été dans la continuité de la désindustrialisation et de la vente du pays « à la découpe », pour reprendre l'expression de nos confrères de Marianne. Comment arrive-t-il à concilier la réalité et l'image qu'il renvoie ?
Son objectif n’est pas vraiment de changer la réalité mais de cristalliser son électorat en le rassurant. Son ambition se résume à faire deux quinquennats, en attendant sa nouvelle vie à Bruxelles. Pour cela, il lui faut passer le premier tour de la présidentielle 2022 en espérant affronter, au second tour, un classique épouvantail électoral à moineaux de la droite et du centre : toujours le vieux principe de diviser pour régner ; ou plutôt de fracturer la France à son avantage. Le « j’ai bien envie d’emmerder les non-vaccinés » est l’application stricte de cette tactique : une majorité de Français approuvera le fond pendant que l’autre se sentira rejetée ; et peu importe si la vulgarité et le mépris de cette formule ont dégradé l’image du candidat putatif. En résumé, son image importe peu : ce qui compte est de réaliser son ambition.
Pour arriver à ses fins, il utilise trois points d’appui.
Une méthode immuable quant aux prétendues réformes : celle du « lapin dans la plaine ». Il court en zigzag : un coup à gauche, un coup à droite, s’arrêtant un instant pour humer le sens du vent. Et s’il repart, il fait quand même du surplace, car il tourne toujours en rond. Et au premier coup de fusil, il rentre dans son terrier : celui du progressisme et de l’émotion bien-pensante.
Une méthode de communication rodée : « un train peut en cacher un autre » ; éliminer toute réalité gênante par une polémique et alimenter régulièrement le moloch médiatique. Son fameux « les Gaulois réfractaires au changement » qui, en août 2018, prévient toute discussion sur le fond des réformes. De même, son « qu’ils viennent me chercher » pendant l’affaire Benalla. Un pur cynisme politique qui fait de la réalité une fiction.
Enfin vient s’ajouter l’extraordinaire laxisme du contre-pouvoir médiatique mainstream, qui se refuse à décrire la réalité telle qu’elle est et dont la pauvreté des analyses économiques et sociétales a pour fondement les utopies des Trente Glorieuses ; si on y ajoute la bien-pensance, l’État profond et « le quoi qu’il en coûte », il ne reste plus beaucoup de place au débat de fond. Alors, comment contredire un homme au langage convenu et toujours si propre sur lui ?
En définitive, l’immense hypocrisie du Président Macron cache – mal – l’inanité d’une ambition personnelle noyée dans l’amour de soi et tournée vers son seul but : devenir le président d’une Europe fédérale dans laquelle il entend immerger la France dans une culture d’inspiration américaine. Et pour Emmanuel Macron, peu importe cette étrange détestation dont il est l’objet depuis son quinquennat : il avancera « quoi qu’il en coûte » dans son projet personnel ; et tant pis pour son amour propre ; et tant pis pour la place de la France qui régresse ; et les Français aussi. En un mot : tout pour son ambition.
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