[CINÉMA] Un parfait inconnu: Bob Dylan, antipathique et talentueux
Après Walk the Line, le film biographique sur Johnny Cash sorti en 2005, le réalisateur James Mangold s’attaque à Bob Dylan, autre chanteur phare de la période qui, par ailleurs, entretenait une solide amitié avec le premier. Le récit d’Un parfait inconnu relate l’arrivée à New York, en 1961, de celui qui n’est encore que Robert Zimmerman, jeune musicien amateur venu de son Minnesota natal. Il désire ardemment rencontrer son idole de la chanson folk, Woody Guthrie, atteint de la maladie de Huntington. En visitant ce dernier à l’hôpital, Bob Dylan fait la connaissance du chanteur Pete Seeger, autre figure incontournable de la scène folk qui, aussitôt, réalise son potentiel artistique et choisit de le prendre sous son aile. Grâce à lui, le jeune musicien va pouvoir se produire dans tous les cafés et clubs branchés de Greenwich Village et faire la connaissance des artistes de son temps, notamment Joan Baez, avec qui il entretiendra, de façon discontinue, une relation sentimentale. Au grand désarroi de sa compagne officielle, Sylvie Russo…
Le passage difficile de la musique folk au rock
Rapidement, Bob Dylan accède à la renommée et à tous les inconvénients que celle-ci suppose. Attaché à son indépendance toute libertaire, le jeune chanteur vit très mal sa sortie de l’anonymat ainsi que la difficulté de passer d’un registre musical à l’autre sans froisser son public habituel. Lequel ne jure que par la chanson folk. Dylan aimerait s’ouvrir à d’autres influences : la country, le blues, et surtout le rock… Le récit de James Mangold s’arrête justement à l’épisode du fameux festival de Newport, le 24 juillet 1965, où, délaissant sa guitare acoustique pour une guitare électrique, Bob Dylan se prend une volée de bois vert de la part d’un public furieux, criant au reniement de ses fondamentaux et à la trahison. Un public populaire qui pressent probablement, sans forcément l’intellectualiser ainsi, la victoire culturelle du libéralisme-libertaire à travers le rock et son rapport privilégié au monde de la pulsion, à l’individualisme consumériste et, plus largement, au capitalisme.
L’Histoire démontrera par la suite que cette incursion musicale s’est avérée payante, pour le chanteur, dans la mesure où elle a élargi son public, lui a permis de nouvelles collaborations (notamment avec Mark Knopfler, des Dire Straits) et a contribué à faire de lui une figure influente de la scène internationale. Parmi ceux qui se sont réclamés de lui, on peut citer les Beatles, Tom Waits, Neil Young, Jim Morrison, Lou Reed, Bruce Springsteen et les Français Alain Bashung, Hugues Aufray, Françoise Hardy, Charlotte Gainsbourg et même Johnny Hallyday.
Artiste admirable, mais personnage antipathique
Bien construit, comme souvent avec James Mangold (le magnifique Une vie volée, Copland ou encore le récent Indiana Jones et le cadran de la destinée), le récit a le grand mérite de brosser, sur quelques années seulement, un portait exhaustif du personnage. Certes, celui-ci n’est clairement pas à l’avantage de l’intéressé, Bob Dylan passant ouvertement pour un goujat avec les femmes, un individualiste forcené, passablement méprisant envers ceux qui l’ont toujours soutenu. Et c’est bien là que se situe la limite du film. Incarné par un comédien tout aussi antipathique que lui (Timothée Chalamet), le chanteur ne peut trouver grâce aux yeux du spectateur qu’à travers son talent artistique. Il est donc pratiquement impossible, pour le cinéaste, de réduire la distance qui nous sépare de lui. On salue néanmoins les qualités de mise en scène de James Mangold et l’investissement des acteurs principaux, qui ont eu le courage de pousser eux-mêmes la chanson devant la caméra – Chalamet, en particulier, a dû apprendre intensivement la musique en cinq ans (chant, guitare et harmonica). Le film parlera avant tout aux amateurs de musique.
3 étoiles sur 5
9 commentaires
J’ai adoré ce film.
Certes personnage antipathique avec les femmes, mais n’oublions pas que l’époque sans sida était au nomadisme sentimental.
Des chansons dont on s’aperçoit qu’on en connaît la plupart.
Performance remarquable de Timothée Chalamet et de l’actrice qui joue Joan Baez.
Un bon film à voir .
Hughes Aufray après avoir rencontré et sympathisé avec Dylan à Greenwich Villahe au début des 60’s à fait connaître Dylan en France en adaptant avec talent ses chansons en Français. Le film doit valoir le coup puisqu’il couvre la trilogie de Bringing it all back home, Highway 61 revisited et Blonde on Blonde. Sa compagne de ses débuts n(est pas Sylvie Russo (d’où ça sort ça?) mais Suze Rotolo qu’on voit sur la pochette de the Freewheelin’ Bob Dylan.
Il a toujours été considéré comme un bougon ; une des rares personnalités du show biz à s ‘être converti au Christianisme ; je l ‘ ai découvert en 1965 avec Like A Rolling Stone mais je trouve qu ‘ il est devenu encore plus intéressant lorsqu ‘ il est passé à l ‘ électrique
J’ai vu le film cette semaine, il est absolument excellent !
Je pense que Dylan est plus individualiste qu’antipathique. Par contre, son talent est immense.
J’adore la chanson « Jockerman » sublimée par la guitare de Mark Knopfler qui pour moi est le plus grand.
Dylan-Knopfler le must et T. Chalamet antipathique ou pas est excellent dans le film.
je suis un inconditionnel de Dylan, mais je me fiche de sa personne.
Et écoutez, entre autres « not dark yet »
Remarque très saine – si je puis me permettre. Comme pour le Caravage en peinture ou Céline et Louis Aragon en littérature.
Dans son autobiographie, Dylan fait clairement savoir que l’image de musicien « flower power » qui lui collait aux doigts n’était qu’un mythe imposé par ses promoteurs. Il se décrit lui-même comme égoïste, mégalo, pas franchement imprégné de coolitude. Et il n’a que peu de vrais amis, dont Feu Tom Petty.
Pour l’anecdote: Celui qui connaissait depuis longtemps un succès planétaire devra attendre 1979 pour avoir sa première reconnaissance officielle, un…prix d’interprétation pour son blues « Gotta serve somebody », avec à la guitare un certain Mark Knopfler dont d’ailleurs Pierre parle.
C’est cette collaboration Dylan/Knopfler qui engendrera aussi l’album « Infidels », mon préféré de Zimmy, juste avant « Desire ».